Antti Tuomainen abandonne les loufoqueries irrésistibles de ses deux livres précédents pour un roman sur grand écran. Paysages à couper le souffle, passions humaines violentes, actions en cascades. Le sang coule, la vodka et la bière aussi. A lire d’une traite !
Il se trouve des “petites Sibéries”, un peu partout dans le monde… là où il fait froid, très froid et peut-être l’espace est vide. Celle dont parle le 6ème roman d’Antti Tuomainen se trouve en Finlande, à 20 kilomètres de la frontière avec la Russie, Hurmevaara, 1280 habitants — autant qu’à Pottsville, dans le célèbre roman de Jim Thompson, on apprécie le clin d’oeil). Il y fait effectivement froid en hiver mais un froid sec qui enlève presque l’impression de froid. Et quand le soleil « encaustique la surface du monde », comme l’écrit l’auteur, et que le « ciel étincelle » et la « neige scintille », on se prend à rêver. Des étendues blanches, immaculées, avec les tâches des forêts de bouleaux ou de conifères et les lacs gelés que l’on devine. Le silence, la buée de notre respiration qui sort de notre bouche. La tranquillité et la paix. La sérénité. Presque. À peine. Non, pas du tout en fait.
Parce que les heures pendant lesquelles on peut jouir de tout cela sont comptées : 4 au maximum au coeur de l’hiver avant que la nuit ne vienne avaler tout ça. Ensuite parce qu’il y a les gens… Eh oui. Les gens. Peut-être est-ce un des messages d’Antti Tuomainen — la nature si belle et pacifique, si pure hantée et dénaturée par les âmes faibles que sont les êtres humains. Parce que faibles elles et ils le sont. Il suffit de pas grand-chose pour qu’ils se révèlent à eux-même dans toute la splendeur de leur médiocrité : envieux, jaloux, fourbe et lâche, vaniteux, violent, sans scrupules, peureux… et pas malins.
Ce pas grand-chose, ce sont les quelques verres qui font perdre la tête de Krista – la femme de Joel Huhta, le pasteur qui est au coeur de ce roman – qui se retrouve enceinte après avoir trompé son mari… lequel ne peut pas avoir d’enfant. Aïe. Pour en être pasteur, Joel Huhta n’en n’est pas moins homme. Il pourrait pardonner. Mais non. Pas tout de suite en tout cas. La jalousie le gagne. Il voit rouge. Il commence à mener l’enquête. Une enquête qui se complique quand tombe du ciel une météorite, un concentré de métaux rares qui vaut 1 million d’euros. Dieu teste ou plutôt vérifie, parce que cela fait longtemps que le doute n’est plus permis, que l’homme et la femme sont fragiles, bien fragiles. Voilà un autre message qu’Antti Tuomainen nous envoie, un message qu’Oscar Wilde avait déjà clairement compris : le meilleur moyen de résister à la tentation est d’y céder ! Et de voler la météorite. Surtout quand elle est conservée quelques jours dans le musée du village. Nombreux sont donc ceux qui vont céder à cette tentation. Des locaux. Des moins locaux – des tueurs russes qui ont franchi la frontière dès la nouvelle connue.
Joel Huhta décide non seulement de trouver qui lui a fait un enfant dans le dos mais aussi que personne ne volera la météorite – après tout, un des voleurs peut-être l’amant de sa femme ; ce peut être sa femme aussi. Alors il se bute. Ce qui énerve tout le monde. Et c’est la guerre entre le pasteur, le gérant de la supérette du village et celui de la salle de sport, le pilote banni – toujours aussi saoul –, les tueurs russes, la serveuse du Good Moon Night Club, le night club local qui commence ses Happy Hours dès 9 heures du matin. Le sang coule. La neige se tâche de rouge. En quelques heures – l’unité de temps est presque parfaite –, dans et auteur du village – unité de lieu –, l’action – un peu moins unique – se déroule à la vitesse d’un bolide conduit par un pilote bourré. Et finit sans finir, comme un film ou une série qui attendent leur suite.
Car Au fin fond de la petite Sibérie est un roman qui lorgne du côté du cinéma. Les paysages, les couleurs – le sang sur la neige –, les courses poursuites, les traques dans le village à moitié éclairé. Antti Tuomainen semble avoir écrit son roman pour qu’il soit adapté à l’écran. Entre Fortitude et les frères Coen – une sorte de No Country for Old Men à la sauce aux airelles –, avec un peu de théâtre de boulevard pour certaines scènes. Aussi, Antti Tuomainen regarde vers l’histoire de la littérature noire, en l’occurrence Jim Thompson comme suggéré plus haut. Pas dans la radicalité, ni dans le style inimitable et inégalable du natif de l’Oklahoma. Mais il y a la noirceur, la méchanceté et la bêtise maladroite des coups montés n’importe comment et ratés dans les grandes largeurs. Au fin fond de la petite Sibérie est bien moins drôle ou rocambolesque et loufoque que les deux romans précédents de Tuomainen – Derniers mètres jusqu’au cimetière et Sous le soleil éternel de Finlande. Il est beaucoup plus noir et désespérant. Il fait grincer des dents.
Alain Marciano