À celles et ceux qui pensent encore que l’électro est froide : écoutez Ghost Poems, l’album de Earthen Sea, pour comprendre comment des machines peuvent créer une musique habitée, au souffle vital puissant.
Cela fait une petite dizaine d’années (Beach Vibe son premier EP date de 2013) que Jacob Long qui se cache sous le pseudonyme d’Earthen Sea sculpte des nappes de synthé pour leur donner des formes oniriques. Cela fait une petite dizaine d’années qu’il distille son électro subtile et raffinée, poétique et douce, lumineuse et planante, ambient et chaleureuse. Tout ça à la fois, oui. Et tout ça à chaque fois. Des heures de musique, une discographie déjà particulièrement conséquente, et une musique qui ne change jamais vraiment, tout en changeant tout le temps. Une musique vivante! Et c’est bien pour cette raison qu’il est impossible de se lasser en écouter tous ces albums. Écoutez les uns à la suite des autres, sans aucune hésitation. Vous vous retrouverez dans une sorte d’état second, un état d’apesanteur, serein. Et la magie opère de nouveau avec Ghost Poems, comme avec chaque album. Earthen Sea réussit à nous charmer, à nous envoûter, à nous appeler à lui et à nous emporter loin, très loin. Le rêve n’est jamais très loin avec Earthen Sea.
Earthen Sea n’aura jamais aussi bien porté son nom, même si c’est un nom qu’il n’a jamais mal porté à vrai dire. Que ce soit Beach Vibe, Ocean Beach, Clouded, Grass And Trees, on ne compte plus les albums ou morceaux composés par Earthen Sea qui comportent cette référence à la nature. À la mer, à la terre et au ciel. Ici aussi, la musique est à la fois aquatique, liquide, souple comme le ressac, douce et puissante comme un courant marin et profondément terrestre, au moins organique. Et aérienne, légère comme une plume. La mer. Une forêt. Un voyage en ballon. L’impression d’écouter de la musique en planant ou la tête sous l’eau, des sons étouffés, modifiés.
En fait, ce sont les bruits du quotidien que Jacob Long a enregistré pendant le premier confinement en 2020, avant de les mixer et de les passer au filtre de ses machines et ordinateurs. Avant de les magnifier! Car le résultat est fantastique. Ça palpite, vibre, froufoutte, bruisse, chuchote, goutte, glougloute, toque, cogne, grésille, craque, respire. Des bruits de pas. Un coeur. Un oiseau qui passe. Un poisson qui s’approche. Un insecte qui rampe dans un buisson… Un peu tout ça qui habite le monde merveilleux d’Earthen Sea. Des instrumentaux—10 morceaux—qui donnent l’impression d’être plus habités que des morceaux avec voix et choeurs. Des morceaux qui ne sont pas très longs mais qui pourraient durer des heures (et dont on regrette qu’ils ne soient pas plus longs). Une inventivité de chaque moment.
Cela rappelle franchement le son des premiers Pan American (Pan American ou 360 business/360 bypass) ou Mi Media Naranja de Labradbord. Une musique d’une douceur incroyable, apaisée et apaisante. Une musique méditative, contemplative. Une musique électro qui est parcourue d’un souffle vital bien plus puissant et bien plus organique que bien des musiques faites à partir d’instruments traditionnels.
Alain Marciano