[Cannes 2022] Le Carnet de bord d’un festivalier 2/3

Après déjà 5 jours de Festival, voici le deuxième volet de ma mini-série de trois chroniques d’un festivalier, et d’un probable épisode bonus en guise de conclusion, à découvrir tout au long du festival, jusqu’à la remise des prix. Aujourd’hui, je vous invite à une plongée exclusive au cœur de la vie d’un festivalier.

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Chez un cinéaste comme Gaspar Noé, la coutume est d’inscrire que « le temps détruit tout ». À Cannes, de manière irréversible, le temps régule tout ! Ne pas avoir le temps, non pas qu’il fait mais qu’il faut, devient la préoccupation principale pour peu que l’on soit un vrai festivalier passionné de cinéma, et non pas un vulgaire influenceur qui comble les heures par le vide, perche à selfie en mains. Dès le réveil à l’heure solaire, il est temps de se pencher sur son téléphone portable pour le compte à rebours jusqu’à 7h, heure fatidique où la billetterie donne droit (ou pas) à l’accession de toutes les réservations de séances quatre jours avant la date des projections. Prendre le temps pour une bonne organisation prime, il ne faut pas être débutant. Et tant qu’à faire, autant choisir en avance un plan B quand d’autres s’attardent la nuit pour dénicher un plan cul.

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De A à Z, lors d’un festival, prévoir juste quelques heures de sommeil et de rêves plein la tête, avant de retrouver le lendemain matin pour la première projection Cannes qui s’éveille. Tout d’abord avec la chorégraphie des agents municipaux qui rendent les trottoirs humides et la ville présentable sous les arrogants palmiers. Puis très vite les pas des accrédités tous en scène, à la drôle de frimousse sculptée par la fatigue accumulée, rythment le bitume comme des claquettes, sonorisent la ville et invitent à se taire pendant cette parade de printemps. Que l’on se prénomme Fred ou autre, le festival de Cannes ressemble à un jour sans fin, pas sûr que réveil puisse rester intact jusqu’à la fin !

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Dans les files d’attente, on retrouve un peu plus chaque jour les mêmes visages, chacun à son cordon d’accréditation autour du cou avec un pin’s doré spécialement offert pour le 75e anniversaire, orné d’une phrase que l’on peut considérer humoristique. Chacun se positionne géographiquement et hiérarchiquement selon la couleur de son badge dans une ambiance conviviale. Une symphonie de couleurs aux trajectoires bien réglées par l’orchestre pour les privilégiés et par le balcon pour les enfants du paradis. Mais à Cannes le langage du cinéma nivelle en journée la lutte des classes entre les barrières, les conversations autour des films visionnés viennent spontanément avec des inconnus. À Cannes la parole se libère, tous réunis par le lien amoureux au cinéma. L’amabilité règne devant les palais et les hôtels grâce à la méticulosité des forces de l’ordre, les gardiens de la paix des artistes, les sourires s’affichent, les compliments sur les tenues fusent naturellement comme entre ces deux femmes journalistes très apprêtées : « Waouh, tu es toute belle !! Mais qu’est-ce qu’il t’arrive ? » pendant que deux hommes comparent leurs masses musculaires après un sympathique « Tu as oublié le chemin de la salle ces derniers temps ? » lancé par le plus bodybuildé des deux, ce qui m’a fait supposer qu’ils évoquaient plus le « Fitness park » que la salle Debussy, chacun sa musique. Une bonne ambiance cannoise. J’aurais pu développer plus durablement mais l’organisation du festival s’en charge et fait déjà le tri à l’ère du « Green Festival » où la patrouille de France s’invite au milieu des centaines de navettes hélicoptères et des grosses berlines. L’écologie mise à pied. Mais voyons le verre à moitié plein. Il semble que le bon vouloir se mette peu à peu en place (grâce aux cotisations que chaque accrédités à versé) pour limiter le plastique avec l’installation de fontaines pour remplir les gourdes préconisées, Cannes se décline également en histoire d’eau.

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Le soir la musique et les démarches ne sont plus les mêmes et loin de la banquise, les hommes se présentent en pingouins endimanchés pour ne pas laisser de glace le tapis rouge qui se déploie sous l’heure des marches. Les femmes perchées sur plusieurs centimètres tentent d’arpenter sur talons avec plus ou moins de talent le macadam nettoyé au passage par la traîne de leurs robes respectives. À la nuit tombée, Cannes devient le ballet incessant de l’apparat. Les courageux badauds dindons de cette farce privés de tickets en or et installés voire même juchés sur les nombreux escabeaux regardent ce défilé pour toucher un morceau du rêve de stars en entendant le solennel morceau de musique classique Le carnaval des animaux (1886) de Camille Saint-Saëns. Ce fragment musical accompagne un générique où des marches rouges gravés de noms de réalisateurs palmés sortent de l’élément aquatique et s’envolent vers le 7e ciel avec art lors de chaque projection d’un film de la Sélection Officielle, sous les applaudissements nourris d’un public enthousiaste et ému de retrouver ce marquant rituel cannois.

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Un peu avant la nuit un ballet de transats non solitaires prennent possession de la plage Macé pour le traditionnel Cinéma de la plage. Avec ou sans Pauline, vous pouvez revisiter chaque soir des films de patrimoine (The Truman show, The Godfather, Un Singe en hiver, E.T, The Last picture show notamment…) en version restauré lors de projections gratuites sous les étoiles. Cette année deux avant-premières sont même offertes à tous : La Cour des miracles de Carine May et Hakim Zouhani (sortie le 28 septembre 2022) et le documentaire Christophe…définitivement de Ange Leccia et Dominique Gonzales-Foerster (Sortie prochainement), suivi par un vibrant karaoké géant pour peu qu’Alice ne soit toujours pas revenue… Pendant ce temps-là les yachts préparent leurs propres « décadanses » festives en mode « love on the beat » anticipé par un curieux ballet d’invitations ou non, un jeu t’aime moi non plus répété chaque soir.

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Mais à Cannes, je vis le festival comme un moine refusant toutes les mélodies bacchanales pour ne pas ramer les jours d’après. Alors j’anticipe toutes propositions par un « je suis venu vous dire que je m’en vais. », mais je vous rassure sans provoquer de larmes, ce qui ne change rien bien entendu ! Quelques dizaines mètres plus loin un autre immense barnum Warner Bros se monte en hommage au king de Las Vegas, ressuscité plein écran par le roi des paillettes Baz Luhrmann afin d’accompagner discrètement la projection avant-première dans le Grand Théâtre Lumière. Quand Elvis (sortie nationale le 22 juin 2022) débarque sur la croisette, cela promet une prochaine soirée très rock and roll. En attendant, de manière déhanchée moi-même par la fatigue qui s’installe jusque dans mes pas, je rejoins comme un « Charlot » mon logis au-dessus de la baie, afin d’écrire en contemplant les lumières de la ville, loin de l’opinion publique. 3H30m du matin, il est temps de quitter le clavier azerty et les feux de la rampe pour aller me coucher aux sons des mouettes moqueuses, après avoir lu certains camarades évoquer de manière critique la sélection des films « faute de grives on mange des merles.». En ce qui me concerne j’ai plutôt l’enthousiasme de la ruée vers l’or. À Cannes, chacun sa palme…

Sébastien Boully

[Cannes 2022] Le Carnet de bord d’un festivalier, 1/3