[Rétrospective] « British Noirs » à la Cinémathèque : grand angle sur le Film Noir britannique

La Cinémathèque Française propose une passionnante rétrospective du Film Noir Britannique, nous donnant envie de redécouvrir tout un pan du cinéma d’outre-Manche, qui vaut bien mieux que ce que Truffaut en disait : « Dire que le cinéma anglais est mort serait excessif puisque aussi bien il n’a jamais existé » !

Racket
Bob Hoskins et Helen Mirren dans « Racket » (1980)

Le mercredi 15 juin (et jusqu’au 11 juillet), débutera à la Cinémathèque une rétrospective consacrée au Film Noir britannique, et couvrant une période comprise entre la fin de la Seconde Guerre Mondiale et le début des années 1990. Après les années 1990, ce qui restera principalement du genre sera le film de gangster « cool » à la Guy Ritchie. Oui, mais avant… le cinéma de genre anglais, c’était quoi ? Le panorama des 28 titres choisis par la Cinémathèque offre quelques pistes.

Un cinéma sous influence

De 1945 à la fin des années 1960, le film noir anglais aura sa charte visuelle influencée par Orson Welles, par le Film Noir américain et par l’expressionnisme : plongées, contre-plongées, grands angles… Welles acteur et son influence nourrissent d’ailleurs le Troisième Homme (1949), paradoxalement absent de la rétrospective. Le Gang des Tueurs (1948), très bon film noir situé dans la station balnéaire de Brighton, montrera également un Richard Attenborough, acteur, tenter de pasticher le Peter Lorre de M le Maudit.

Le polar anglais et les « différences »

Non présent également dans la rétrospective, La Victime (1961) de Basil Dearden racontait comment un homosexuel pouvait être victime de chantage, à une époque où l’homosexualité était illégale au Royaume Uni. Les films de Dearden choisis dans la rétrospective sont traversés par la question de la race. Ecrit par le scénariste d’Opération Tonnerre, le film choral Les Trafiquants de Dunbar (1951) est le premier film anglais à montrer une romance interraciale. Centré sur le meurtre d’une métisse, Opération Scotland Yard (1958) brosse un dur portrait du racisme de la société anglaise de son temps, tout en révélant que les métissés ne sont pas toujours bien considérés par une partie des Noirs anglais.

Britain’s Eleven

Grande spécialité du cinéma de genre britannique, le film de casse est bien représenté dans la rétrospective. Sous la forme d’une comédie Hammer légère sur un casse de Noël (Pas de crédit pour les caves (1961)), ou sur le terrain du divertissement mêlant allusions aux difficultés de réinsertions des vétérans de l’armée, pied de nez à l’institution militaire, élégance so british et punchlines (Hold Up à Londres (1960)). La scène d’ouverture de Trois milliards d’un coup (1967) motivera quant à elle l’embauche de Peter Yates pour un Bullitt à la course poursuite mythique. Les Gangsters (1961) prolonge quant à lui le fatalisme du John Huston de Quand la ville dort.

Cinéma (de commentaire) social

Les comédies noires anglaises ont souvent représenté une élite cruelle et autosatisfaite. Le cinéma de genre n’échappe pas à cette dimension de commentaire social. Influencé par le réalisme poétique et marqué par d’étonnantes ruptures de tons, Il pleut toujours le dimanche (1947) est justement signé du réalisateur de la géniale comédie noire Noblesse Oblige. Le film est une plongée dans une Angleterre d’après-guerre faite d’insécurité et d’inégalités sociales. Dans Train d’Enfer (1957), un détenu libéré va se faire embaucher comme chauffeur de camion pour découvrir que cet univers professionnel n’est pas éloigné de la mafia dans son fonctionnement. Dans Quand gronde la colère, un Peter Sellers à contre-emploi se transforme en vengeur obsessionnel lorsqu’une voiture qui était son seul statut social lui est volée. Tourné avant l’arrivée de Thatcher mais sorti ensuite, le polar culte Racket ou Du Sang sur la Tamise (1980) avait tout prévu du devenir du pays sous la Dame de Fer : Bob Hoskins y joue un truand businessman voulant resusciter les Docks londoniens, et les gangsters se prennent pour des Américains tandis que les bombes explosent comme au temps des attentats de l’Armée Républicaine Irlandaise.

Les ruptures des années 1970

Avec son final chaotique et son tableau rude des rapports de couple, L’Indic (1963) semble annoncer l’arrivée de l’air du temps des années 1970 dans le cinéma de genre local. Portée par le charisme animal d’Oliver Reed, La Cible Hurlante (1972) est une série B de vengeance et d’évasion nerveuse dans la droite lignée du cinéma de genre américain de l’époque. C’est à ce moment que Hitchcock revient au Royaume-Uni pour un Frenzy (1972) lui permettant de se réapproprier ses suiveurs du Giallo et d’annoncer le cinéma de De Palma. La Loi du milieu (1971) suit quant à lui le retour dans un Nord anglais déjà en ruines d’un Michael Caine mêlant détermination vengeresse et humour anglais à froid. Guy Ritchie et Quentin Tarantino s’en souviendront. Avec son Gumshoe (1971) inaugural, un Stephen Frears offre d’ailleurs déjà une relecture post-moderne de la Série Noire : Albert Finney, le jeune rebelle du cinéma anglais des années 1960, joue un comique de cabaret fan de Série Noire qui va se retrouver mêler à une affaire policière. Bien avant les années 1990, les personnages s’y balancent le nom de leurs rockers favoris ou des dialogues sur Hitler et Blanche Neige.

La musique bien sûr…

…Parce qu’avec les Anglais, la musique n’est jamais très loin. Le déjà mentionné Opération Scotland Yard décrit la frénésie et la faune multiculturelle des clubs de jazz des années 1950. Transposition selon nous ratée d’Othello dans le monde du jazz, Tout au long de la nuit (1962) est un vrai défilé de figures du jazz, dont Charlie Mingus dans son propre rôle. En 1980 c’est d’ailleurs l’un des Beatles (George Harrisson) qui rachètera Racket pour le sortir en salles. Et en 1990 Peter Medak met en scène Les Frères Kray, duo mythique de gangsters du Swinging London dont on retrouve l’ombre chez Morrissey (la chanson The Last of the famous international playboys).

Parce qu’ils ne rentraient pas dans cette vue d’ensemble, nous n’avons pas voulu évoquer en détail les films de Joseph Losey, cinéaste disposant déjà d’une certaine notoriété chez les cinéphiles… Ni non plus les tentatives « excentriques » inabouties telles que Pas d’orchidées pour Miss Blandish (1948) dont le grotesque annonce les Coen. Ni l’excellent thriller de Val Guest Le Mystère de la Villa Blanche (1962), anticipant le cinéma à twists des années 1990.

Bonne rétrospective !

Ordell Robbie