Hommage à Jean Teulé : putain de boulettes…

A Benzine, on l’aimait bien Jean Teulé, et même plus que ça. Celui-ci, qui a pris cette semaine la poudre d’escampette sans prévenir, méritait bien un hommage. Retour sur la carrière atypique d’un auteur de talent.

Jean Teulé

Jean Teulé était en bonne santé et rien ne laissait prévoir sa disparition prématurée. A l’heure où nous publions cet article, une enquête a été ouverte sur les circonstances de sa mort le 18 octobre. L’écrivain aurait en effet été victime d’une intoxication alimentaire dans un restaurant parisien le week-end dernier, entraînant un arrêt cardiaque quelques jours après.

Écrivain populaire, Jean Teulé avait commencé dans la bande dessinée et n’était pas forcément voué à une carrière littéraire. Pourtant, ses romans ont très vite séduit le grand public, et l’auteur, grâce à son exceptionnel talent de conteur, enchaîna les best-sellers. Ce qui évidemment ne fut pas du goût des pisse-froid du petit milieu littéraire parisien, qui le snoba magistralement. Mais Teulé s’en foutait, lui qui avait peu de goût pour les honneurs et les médailles. En toute simplicité, il mena son petit bonhomme de chemin, en faisant revivre à travers ses romans des personnages illustres, avec sa verve et son humour décalé aux accents rabelaisiens, et pour notre plus grand bonheur. Ce n’est pas non plus par hasard s’il partageait sa vie avec Miou-Miou, actrice touchante et devenue très discrète, qui à l’instar de son compagnon, a toujours occupé une place importante dans le cœur du public.

Les honneurs n’étaient en effet pas sa tasse de thé. La preuve en est avec cette anecdote significative. Dès ses débuts dans la bande dessinée, Jean Teulé fut récompensé en 1984 avec Bloody Mary, adaptation du roman de Jean Vautrin, par la presse spécialisée qui elle-même créa le prix du même nom. Quelques années plus tard, il reçut une distinction honorifique à Angoulême pour sa « contribution exceptionnelle au renouvellement du genre de la bande dessinée ». Paradoxalement, ce prix le détourna du neuvième art. « J’ai adoré faire de la bande dessinée, a-t-il déclaré, mais quand on m’a donné ce truc-là, j’ai cru que j’étais mort. Ça faisait prix posthume. Le lendemain, c’est vrai, j’ai arrêté. » C’est alors que débuta sa carrière de romancier. Et pourtant, si l’homme avait quitté la BD, la BD était bien dans son ADN et continuait à le poursuivre de ses assiduités. Lui qui avait commencé en adaptant un roman, nombre de ses romans furent eux-mêmes adaptés en BD, notamment Charly 9 et Je, François Villon.

Jean Teulé et Bernard RappSon talent attira même l’œil de la télévision à cette époque. Bernard Rapp, personnalité brillante s’il en est, l’avait lui-même recruté pour son émission L’Assiette anglaise. Il avait également rejoint l’équipe de Philippe Gildas dans l’émission Nulle part ailleurs sur Canal Plus. Rien de trop nul donc, même dans le monde superficiel de la téloche.

Autre anecdote étonnante : Jean Teulé fut le camarade de classe de Jean-Paul Gaultier, après que ses parents quittèrent leur Bretagne pour déménager à Arcueil en région parisienne. Si leur parcours a été très différent, Gaultier lui aussi venait d’un milieu modeste. Mais c’est quand on apprend que pour Teulé, la plume faillit être éclipsée par la clé de douze (après la troisième, on l’avait orienté vers la mécanique auto) qu’on est le plus sidéré… Un véritable gâchis évité de justesse, tout ça parce que le môme Jean avait été catalogué comme cancre !

Jean Teulé, on l’aimait parce qu’on sentait qu’on aurait pu prendre un verre avec lui et taper la discute, sans chichis. Comme avec un ami, un vrai pote. Il n’oublia jamais ses origines modestes, lui qui se rendait régulièrement à la fête de l’Huma. Ses phrases, il ne les faisait que dans ses romans, jamais devant les micros. Il ne cherchait pas à péter plus haut que son fondement, parce qu’il avait conscience de notre insignifiance, de notre fragilité dans ce grand tourbillon qu’est la vie. En passant de l’autre côté du miroir, ce fana d’Histoire nous a privé de tant d’autres belles histoires. A cause (peut-être) de ses maudites boulettes de viande, c’est une plume magnifique qui s’est envolée vers l’infini. Toutes nos pensées vont à Miou-Miou et à ses proches.

Nous, « gens de France et d’ailleurs », sommes aujourd’hui profondément, immensément tristes. Tout simplement.

Panorama de sa bibliographie BD

En tant que dessinateur :
Bloody Mary (1983)
Virus (1980)
Gens de France (1988)

En tant que scénariste :
Je voudrais me suicider mais j’ai pas le temps (2009) – dessin de Florence Cestac

Bandes dessinées adaptées de ses romans :
Le Montespan (2010) – Philippe Bertrand
Je, François Villon (2011) –Luigi Critone
Le Magasin des suicides (2012) – scénario de Olivier Ka, dessin de Domitille Collardey
Charly 9 (2013) – Richard Guérineau
Entrez dans la danse (2019) – Richard Guérineau
Mangez-le si vous voulez (2020) – Dominique Gellli
Fleur de Tonnerre (2020) – scénario de Jean-Luc Cornette, dessin de Jürg
Ô Verlaine ! (2021) – scénario de Philippe Thirault, dessin de Olivier Deloye