« Le vingtième siècle » de Aurélien Bellanger : abscons…

Avec la quatrième de couverture la plus excitante de cette dernière rentrée littéraire, Le vingtième siècle d’Aurélien Bellanger, se propose de nous faire découvrir Walter Benjamin, grand mythe intellectuel du siècle dernier, en suivant une enquête liée au suicide d’un poète à la BNF… désolé mais on se perd dans ce labyrinthe… et surtout on s’y ennuie.

Aurelien-Bellanger
© Francesca Mantovani

Il faut attendre la page 196 de ce pensum pour qu’enfin Aurélien Bellanger compatisse avec son lecteur en écrivant : « Je ne veux pas donner raison à l’université fautive, mais il est vrai que ce livre, que j’ai là sous les yeux et que j’ai commencé à lire, n’est pas loin en effet d’être incompréhensible. ». Le vingtième siècle fait partie de ces livres dont il est mal vu de dire du mal…au risque de passer pour un idiot épais, un lecteur fainéant ou un contempteur du système mediatico germanopartin normalien. Je prends donc le risque de passer pour un crétin des Alpes qui se gausse des critiques littéraires en vue car il ne fait pas partie du club…

Le vingtième siècle Aurélien Bellanger

Rien de bien nouveau sous le soleil dans ce qui procède à cet engouement journalistique, l’exemple le plus criant ayant été Le pendule de Foucault d’Umberto Eco, la liste est longue. On peut parfois s’interroger sur le libre arbitre de la critique surtout quand elle vient à encenser unanimement des livres illisibles. Certains en ont fait un cœur de métier, plus c’est illisible, plus on aime (et même si on n’a pas été au-delà de la page 100… le dossier de presse faisant le reste). Ceci porte un nom : c’est le snobisme et c’est en effet très doux. Je ne leur jette pas la pierre car celui qui écrit ses lignes a soutenu que Trout Mask Replica de Captain Beefheart était son disque de chevet alors qu’il n’avait jamais eu la force d’aller au bout de la face B…je vous passe mon air concerné quand je parlais de Thomas Pynchon, de Mark Z.Danielewski voire de 2666 de Bolano. Il arrive un temps où tout cela finit par lasser, désolé Aurélien Bellanger mais vous risquez d’en faire les frais (à peu de frais).

Aurélien Bellanger a tout pour réussir, plutôt beau garçon (un futur BHL ?), juste de ce qu’il faut d’études de philosophie, houellebecquien de la première  heure ayant désormais tourné casaque, assumant sa part de ringardisme très tendance : dans Marie Claire il se proclame fan inconditionnel du Club des cinq d’Enid Blyton et dans les Inrocks qu’il n’a découvert Bowie qu’en 2009 à sa mort : « tu comprends man on ne peut pas à la fois lire de la philo, relire Enid Blyton, penser le monde et savoir qui est Bowie ». On doit lui reconnaitre une certaine constance dans sa capacité à tenir le lecteur ou l’auditeur à distance, ses chroniques quotidiennes, dans la matinale de France Culture la saison passée, étaient un modèle du genre, l’auditeur se disant à chaque fois « Putain, j’aurais dû me coucher plus tôt hier soir, j’y entrave que goutte à ce qu’il dit le Monsieur et pourtant il a l’air sacrément intelligent le gars !».

Le gars en question, dans son sixième roman, avait donc projeté de nous éclairer sur la personnalité, la pensée et la vie de Walter Benjamin, grand mythe intellectuel du 20e siècle. C’est au demeurant extrêmement louable, il était annoncé de plus que nous suivrions les activités d’un groupe d’extrême gauche (assez dans l’air du temps) et que nous enquêterions sur le suicide d’un poète à la BNF. Bref, un pitch qui avait tout pour plaire. L’excellent Le Magicien de Colm Toibin (2022) à propos de Thomas Mann procédait du même principe, on explorait les soubresauts du siècle en suivant le grand écrivain et c’était passionnant.

Le problème majeur du roman d’Aurélien Bellanger est de vous faire sentir « en creux » que si vous n’êtes pas agrégé de philosophie ni universitaire en lettres, ce récit ne vous est pas destiné… avec la condescendance qui va avec. Je ne me permettrai pas de faire le moindre commentaire sur le fond du roman car je ne suis pas outillé pour. La question qui se pose est de savoir pourquoi un tel livre est édité dans la Blanche et plutôt pas dans une collection universitaire voire comme un essai ?

Nous avons souvent l’impression de lire des copier/coller d’une thèse : page 67 « L’analyse des traits leibniziens de la philosophie de Walter Benjamin est l’une des branches les plus prometteuses des études benjaminiennes. On sait par exemple ce que sa théorie de l’image doit à celle de la monade. » – page 97 « Libre à la métaphysique, autrefois chassée du système kantien, de réapparaitre dans le miroir inversé de ce drame baroque. Aussi c’est le plus naïvement du monde à Leibnitz, et à son exotique monadologie, que notre étudiant nous ramène sans cesse. ». Le roman fourmille de ce type de phrases obscures pour le commun des mortels… Si vous ne savez pas ce qu’est « la monade » vous êtes vraiment mal barrés, pas dans la vie mais pour lire Le vingtième siècle. Certains prétentieux penseront sans doute qu’ils sont bien arrivés à lire Le monde de Sophie jusqu’au bout et que Le vingtième siècle, c’est du nanan, je les attends !

Cette complexification du propos est de saison, on met ainsi aujourd’hui la mécanique quantique (dont je suis beaucoup plus familier) à toutes les sauces romanesques… les auteurs peuvent ainsi à loisir tartiner sur des choses qu’ils maitrisent en général assez mal sans prendre le risque de se le voir reprocher par les critiques ou par la plupart des lecteurs.

Qu’a voulu faire Aurélien Bellanger dans ce roman, un texte qui impressionnerait les universitaires, les fins lettrés (qui maîtrisent la métaphysique), les critiques qui souhaitent se montrer singuliers, les lecteurs ne souhaitant pas céder à la facilité, les snobs qui pourront en parler dans les dîners en ville ? Ce qu’il a réussi à faire, en tout cas, c’est de frustrer un lecteur qui était très excité de lire son ouvrage, de découvrir qui était Walter Benjamin, de mieux appréhender les milieux politiques d’extrême gauche, de côtoyer par procuration les lettrés qui fréquentent la BNF, de suivre une enquête alambiquée et de se plonger dans un livre complexe (mais pas à dessein), rien de cela n’est arrivé, c’est bien dommage car il n’est pire que de mettre ainsi à distance des amoureux de la littérature ni simplette ni mainstream.

Éric ATTIC

Le vingtième siècle
Roman d’Aurélien Bellanger
Éditeur : Gallimard
432 pages – 23,00€
Date de parution : 5 janvier 2023