Quentin Tarantino au Grand Rex : ne filmez pas, écoutez

Quentin Tarantino était hier soir de passage au Grand Rex pour parler de son dernier livre Cinéma Spéculations en compagnie de Thierry Frémeaux. Récit d’une soirée où il a aussi évoqué son prochain film.

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Georges Biard (Wikimedia Commons)

Ce compte-rendu sera sans photo, la mise sous pochette verrouillée et sécurisée des téléphones mobiles étant obligatoire à l’entrée de l’évènement. Le cinéaste a justifié son choix par la peur de voir des spectateurs chercher les films dont il parle sur imdb plutôt que de l’écouter. L’habitué des concerts rock que je suis aura tendance à approuver ce choix : avoir vu certains spectateurs filmer la majeure partie du temps un évènement plutôt que de le savourer sur le moment et d’y participer nuit parfois un peu à l’ambiance d’un concert. Et du coup, parce que j’ai préféré écouter que prendre des notes, le compte-rendu sera forcément partiel, une mise en ordre mes souvenirs.

A propos de l‘évènement

Pour commencer, je comprends l’agacement manifesté ici et là à l’encontre du principe d’un évènement payant lié à la promotion d’un livre. Il est légitime de regretter le temps désormais lointain où un cinéaste star pouvait faire une intervention gratuite dans une Fnac parisienne. Quand bien même l’intervention durait moins longtemps qu’hier soir. Quand bien même, dans les cas mentionnés, le nombre de personnes pouvant y assister n’était pas celui d’une salle (la grande du Rex) plus grande que La Cigale. Une fois ceci dit, certains font nettement pire rayon tarifs : Bono et ses prix Stade de France au même endroit pour son autobiographie, Al Pacino au Théâtre de Paris et bientôt à Pleyel sans même de prétexte promotionnel.

En anglais dans le texte

La conférence donc… Dans la langue de Shakespeare. Avec un cinéaste au look clean loin des allures Reservoir Dogs et redneck des jeunes années. En deux parties : une première partie de discussion autour du livre Cinéma Spéculations animée par Thierry Frémeaux, délégué général du Festival de Cannes, suivie de 20 minutes d’entracte et enfin une lecture par le cinéaste du premier chapitre de son livre. Frémeaux fut meilleur que lors de la Masterclass de Bong Joon-ho au même endroit. Je mettrai ça sur le compte du fait que le bouquin permettait de « cadrer » les questions autour de l’histoire d’une enfance passée à découvrir en salles le Nouvel Hollywood. Cela évita à Frémeaux de poser des questions aussi incongrues que celle de demander au Coréen si la pluie était un motif d’auteur de son cinéma. Là où la pluie torrentielle est un cliché du cinéma de genre du matin calme comparable à la gifle (ou au sadisme virant au comique). Reste le plus difficile : tenter de synthétiser ce qu’a raconté un cinéaste au débit de mitraillette.

[Essai] “Cinéma Spéculations” de Quentin Tarantino : né dans une salle de cinéma

Cinéma dans les salles

Tarantino a expliqué avoir choisi volontairement des films découverts lors de leur sortie ou peu de temps après. Il a ajouté parler de films sur lesquels il pouvait parfois avoir des réserves mais avoir quelque chose à dire. Ce qui ne serait pas forcément le cas avec un chef d’oeuvre certifié tel qu’Apocalypse Now ou avec Le Convoi de la peur. Comme dans le bouquin, la cinéphilie est décrite comme intrinsèquement liée à son univers familial. Le cinéma était l’occasion de passer du temps avec ses proches et sa mère. Une mère qui considérait la violence des news plus terrible que celle du grand écran. Une mère qui pouvait interdire à son fils de voir un film si ce dernier était trop jeune pour comprendre le contexte de la violence. Furent évoqués la découverte de blagues et jurons en dessous de la ceinture en séance ainsi que son incompréhension d’époque concernant la fin de Butch Cassidy et le Kid. Il fait surtout de ces séances sa première observation des réactions du public à la découverte d’un film. Celui des salles californiennes des années 1970 pouvait ainsi manifester de façon très vocale son mécontentement vis-à-vis de ce qu’il voyait à l’écran. Entre parenthèses, tout ceci raconte que les séances survoltées (comme pour Spider-man: no way home au Grand Rex ou dans les salles obscures indiennes) ne datent pas d’aujourd’hui.

Vie et mort du Nouvel Hollywood

Il y a surtout le récit de la naissance et de la mort du Nouvel Hollywood, parenthèse enchantée du cinéma américain. Une première vague de cinéastes (Nichols, Penn, Peckinpah… et même Aldrich) a ouvert une brèche dans le système de studio de la fin des années 1960. Mais ce sont les succès en 1970 de films tels que Mash qui ont pu conforter les studios sur le caractère bankable de cette approche. Et permis l’émergence de la seconde vague de cinéastes de la rupture dont Francis Ford Coppola serait le mentor. Le cinéaste distingue ces deux vagues : la première rêvait d’adapter de grands classiques littérature, la seconde fit sa gloire en adaptant de la littérature de gare (en français dans le texte). Telle que le Best Seller de Puzo Le Parrain. Sur la mort du Nouvel Hollywood, il choisit un moment décisif, différent de ceux très nombreux qui la datent de l’arrivée des blockbusters de Lucas/Spielberg ou du flop de La Porte du Paradis. Il rappelle qu’avant 1970 le happy end était la convention narrative du cinéma hollywoodien. Mais le début des années 1970 changea tout : les personnages devaient mourir de manière absurde, comme un écho fataliste à l’impuissance de l’individu face au système. Cette ligne de force thématique du cinéma de l’époque était parfaitement synchrone du Viet-Nam, du Watergate et d’une opinion publique ne faisant plus confiance aux institutions. Sauf que Rocky advint. Le film rappela au public (Quentin compris) à quel point le happy end leur avait manqué. Quand bien même tout le monde savait la victoire de Balboa aussi improbable qu’une victoire de Gasquet contre Nadal Porte d’Auteuil, le public de la séance racontée par le cinéaste l’encouragea à s’accrocher comme une seule Adrienne. Un virage que confirma l’année suivante Star Wars.

 

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: Wikimedia Commons

Avis à contre-courant

Puisque le cinéaste adore les Français pour leur défense à bâtons rompus de leurs opinions, venons-en à quelques positions cinéphiles à rebours (de la cinéphilie/critique française, de sa collègue US, ou des deux). Quand bien même De Palma fut en son temps défendu par la célèbre critique américaine Pauline Kael, le cinéaste raconte avoir souvent eu des débats musclés avec ceux et celles qui Outre-Atlantique ne voyaient en lui qu’un copiste hitchcockien. Selon lui, De Palma aurait d’abord retenu du Maître du Suspense le principe de la caméra actrice d’un film. Il évoqua également un cinéaste du Nouvel Hollywood assez peu mentionné par la critique française : George Roy Hill. Cinéaste qui dans la période est loin d’avoir ma grande faveur en dépit de mon affection pour Butch Cassidy et le Kid avec son génial Raindrops keep fallin’ on my head, l’alchimie Newman/Redford et sa rupture avec le western classique. Pour Tarantino, George Roy Hill incarne ce qui a fait la popularité mondiale du cinéma américain : savoir raconter des histoires. Sur ce dernier point, je le suis : si Hollywood bénéficie aujourd’hui de sa position économique dominante, l’usine à rêves doit sa place centrale dans le cinéma mondial à l’art du storytelling de ses plus grands films. J’ajouterais que le cas Rocky en est la parfaite illustration : Stallone scénariste transformant un personnage working class très proche de l’aspirant acteur fauché qu’il était juste avant le film en figure quasi-mythologique. Au point que le boxeur fictif aura droit à sa statue à Philadelphie et comptera pour les boxeurs professionnels autant que certains champions de la vraie vie.

Questionné sur son dernier film avant retraite (provisoire ?) de cinéaste, Tarantino a confirmé et infirmé ce qui était écrit dans la presse : le film s’appelle bien The Movie Critic, il souhaite le tourner cet automne, le film se passe bien à Los Angeles à la fin des années 1970 (1977) mais… ce n’est aucunement un biopic de Pauline Kael et le personnage principal n’est pas un/une critique de cinéma. Puis ce fut la lecture à haute voix du premier chapitre de Cinéma Spéculations avec le genre de variations d’intonation et de rythme qui n’auraient pas dépareillé chez Mister Brown. Un moment qui confirma la sensation de speech tarantinien couché sur papier laissée en partie par le bouquin. Puis ce fut le clap de fin.

Ordell Robbie