« Le plus gros jeu », de Al Alvarez : un manuel de savoir-vivre le poker

Un des classiques de la littérature sur le poker, pour les fans et pour les autres, enfin traduit en français. Un livre d’histoire quasiment, un livre qui parle d’une époque révolue, mais qui en parle tellement bien qu’on regrette de ne pas y avoir été. Un livre qui va vous transporter dans le temps et dans l’espace. Al Alvarez est un génie.

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Al Alvarez a une réputation énorme, et c’est mérité ! Il fait partie de ces journalistes-écrivains qui subliment à la fois le reportage et la littérature, au même titre qu’un Nick Toshes, un Jon Savage ou un William McKeen (et j’en oublie, évidemment). Chacun de ses livres est quasiment indispensable. Ce qui est d’autant plus ennuyeux qu’il est très peu traduit en français. Une bonne raison pour se précipiter sur celui-ci, Le plus gros jeu, la version française de The Biggest Game in Town paru en… 1983. Et comme The Biggest Game est une référence (qui a même une page wikipedia) dans la littérature sur le poker, il faut se précipiter sur cette traduction. Mais attention : que vous soyez fan de poker ou pas, vous ne trouverez pas dans ce livre de recette, de stratégie, de leçon. Vous n’apprendrez pas à jouer au poker et vous ne saurez pas comment vous améliorer. Ce livre n’est pas un manuel. Ou plutôt si, c’est un guide de vie…

En effet, Al Alvarez raconte une histoire ou plutôt des histoires. Il a rencontré les joueuses (peu nombreuses à l’époque) et joueurs, celles et ceux qui se sont enrichis après s’être installés à Las Vegas et qui ont décidé de rester pour faire de ce jeu leur vie. Et ces histoires ont un charme fou, un romantisme incroyable. Imaginez, arriver à Las Vegas, jouer, gagner des millions en quelques mois et utiliser ce pactole pour continuer de jouer toute sa vie… C’est d’autant plus beau que jouer au poker et gagner des sommes pareilles n’est possible qu’à une double condition, jouer gros et jouer tout le temps. On ne joue pas au poker comme on va au bureau. On joue au poker tout le temps, c’est-à-dire tout le temps où on ne dort pas et on ne mange pas. On vit poker. Finalement, jouer au poker de cette façon grandiose ressemble à la vie d’un artiste, d’un grand sportif, d’un grand scientifique, d’un écrivain. D’ailleurs, il l’écrit au début de son livre, le poker peut être un art. Al Alvarez fait l’apologie d’un mode de vie.

N’est-ce pas dangereux et pervers que de décrire le jeu de cette manière, de décrire cette vie d’une façon aussi belle et fascinante ? N’est-ce pas déplacé (à une époque où on passe tellement de temps à mettre en garde systématiquement sur les dangers du jeu ? Non. D’abord parce que The Biggest Game a été publié il y a 40 ans… Le poker et le poker à Las Vegas en particulier dont parle Al Alvarez n’est pas le poker de 2023. La capitale mondiale du jeu ne doit plus ressembler beaucoup à son ancêtre du début des années 80 et le poker n’est plus le poker d’alors. A cette époque, pas de chaînes diffusant des parties en continu ; pas de site (évidemment) auquel se connecter pour jouer 24h sur 24 et 7 jours sur 7. La littérature sur le poker n’était certainement pas aussi abondante que ce qu’elle est maintenant… Et, pour finir, le championnat du monde de poker (le World Series of Poker) de 1981 ne doit pas trop ressembler au championnat qui se joue aujourd’hui.

Le plus gros jeu n’est ni dangereux ni déplacé parce qu’on comprend assez vite que vivre ce genre de vie ne peut pas être donné à tout le monde. Tout plaquer, partir dans le Nevada, vivre au milieu du désert en se nourrissant de hamburgers et de frites et en buvant des milkshakes ou du **** light ou pas, risquer 300.000 dollars sur une paire d’as parce qu’on pense que ça va passer, a du charme, mais un charme que la plupart d’entre nous ne goûteront pas. Admettons que jouer à ce biggest game in town est à la portée d’une élite et que le mieux qui nous reste à faire est de lire Al Alvarez pour avoir une idée de l’air que respire cette élite. C’est déjà pas mal. Et puis, ce livre est aussi à lire pour celles et ceux qui rêvent de devenir journalistes (et même écrivains). Un modèle !

Alain Marciano

Le plus gros jeu31
roman de Al Alvarez
Traduit de l’anglais par Jérôme Schmidt
Éditeur : Métailié
208 pages, 20 €
Parution : 28 avril 2023