« Portrait Huaco », de Gabriela Wiener : arrière-arrière-petite fille de salaud

La journaliste et chroniqueuse péruvienne Gabriela Wiener décide de faire le portrait de son arrière-arrière grand-père, un européen (blanc) qui a contribué à piller le Pérou, a fait un bâtard à une femme (le père de Gabriela Wiener) sans y avoir accordé beaucoup d’importance… Se rendre compte qu’on est une arrière-arrière-petite fille de salaud n’est pas facile. C’est bouleversant pour elle, brutal pour nous. Même pas 200 pages, mais assez violent.

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© daniel mordzinski

Ce « roman » est habité par la rage, la hargne, et même la violence et la brutalité. Pas une violence sanguinolente exposée au grand jour. Ici les cadavres ne jonchent pas les pages. Ils sont dans les placards et ce sont leurs fantômes qui sont partout. Les fantômes des mortes et les morts qui ont accompagné la « découverte » et la conquête de l’Amérique du Sud (ici, du Pérou). Cette découverte qui, comme on le sait bien, s’est rapidement transformée en conquête (c’est-à-dire massacre) et puis en pillage quand on a trouvé toutes ces fantastiques œuvres d’art locales, qui ont été ramenées et exposées en Europe. Sans compter les indigènes qu’on a aussi exposés – exhibés, serait plus juste – dans ces fameux zoos humains de l’exposition universelle de Paris. On ne peut même pas imaginer le choc ressenti quand on est sud-américaine et qu’on est confrontée à ce phénomène : visiter une exposition dans un musée parisien, par exemple, et tomber sur des œuvres qui viennent de son pays, de son continent et qui ont été méticuleusement ramenées en Europe. Un choc démultiplié quand, en plus, on est l’arrière-arrière petite fille de celui qui a été à l’origine de ce pillage… C’est ce que raconte ce Portrait Huaco.

Portrait Huaco, Gabriela WienerReprenons. Charles Wiener est un explorateur français (né en Autriche, il est naturalisé français à 27 ans). Pas un petit explorateur. Certainement un des plus importants. C’est lui qui est à l’origine de la collection du musée du quai Branly à Paris. Il a fait ramener en France des milliers d’œuvres qu’il a trouvées lors de ses voyages en Amérique du Sud. Parmi les pays qu’il visite, il y a le Pérou. Il y reste 2 ans à peine, pendant lesquels, en plus de ses exploits archéologiques, Wiener laisse aussi une autre marque : il fonde plus qu’une famille, une lignée, celle des Wiener du Pérou qui aboutit à Gabriela Wiener, l’autrice de ce roman, la narratrice, journaliste Péruvienne. Et Gabriela Wiener, précisément choquée par ce qu’elle voit un jour quai Branly à Paris, décide de faire le portrait de cet arrière-arrière grand-père. Son Portrait Huaco.

Gabriela Wiener se trouve prise dans une toile d’araignée. Elle est sud-américaine, péruvienne, mais avec des origines troubles parce que son arrière-arrière grand-père venait d’Europe, a pillé son pays, fait un bâtard à une femme au cours de l’une de ses expéditions et est reparti sans demander son compte. Arrière-arrière petite fille d’un salaud, un salaud banal du 19ème siècle. Elle est aussi la fille d’un père dont elle découvre qu’il a eu une double vie incroyable pendant des années. Et sa sexualité n’obéit pas aux canons que la société impose. Elle est donc une femme, racisée, victime de racisme et de violence envers les femmes. Se mêle donc la violence du colonialisme, celle des hommes contre les femmes, des blancs contre le reste du monde… Gabriela Wiener se trouve face à une violence qui se démultiplie. Et c’est ce qu’elle raconte. Dans un style direct, sans fioritures, mais bellement écrit ; sans se cacher, ni sans rien cacher. Une sorte de mise à nue personnelle et sociale qui fait mal. Elle frappe fort. Gabriela Wiener sait écrire, c’est une des meilleures et plus reconnues journalistes de sa génération. Si Portrait Huaco est son premier roman, ce n’est pas son premier livre. Elle sait comment toucher le point sensible. Et, cela vaut la peine d’être noté, Portait Huaco est superbement traduit par Laura Alcoba.

Alain Marciano

Portrait Huaco
Roman de Gabriela Wiener
Traduit de l’espagnol (Pérou) par Laura Alcoba
Éditeur : Métailié
160 p., 19,60 €
Parution : 18 août 2023