Pour son nouveau roman, Fabrice Caro nous plonge dans les coulisses de la création d’un film, racontant les déboires d’un jeune scénariste confronté aux dures réalités de l’industrie du cinéma. Délicieusement absurde.
Boris est un jeune scénariste un peu tendre mais ambitieux. Il nous raconte dans son journal de bord, les péripéties, les tractations qui vont petit-à petit transformer son « film d’auteur » intitulé Les servitudes silencieuses en un nanar annoncé. Toutes les planètes semblaient pourtant alignées pour que le projet aboutisse sur quelques chose de grand. Jean Chabloz, son producteur était très enthousiaste et promettait un avenir certain à son scénario, à condition, peut-être de revoir quelques détails.
Et puis, au fil des jours, la mécanique va se gripper, d’autant qu’un autre producteur va se mêler aux tractations. Et finalement, ce qui devait être un film en noir et blanc, avec en tête d’affiche Mélanie Thierry et Louis Garrel va peu à peu se transformer en une comédie franchouillarde avec des acteurs bien plus bankables. Bon soldat et un brin naïf, acceptant les réajustements qui permettront à son film d’aboutir, Boris réécrit, au fil des jours, son scénario, d’après les indications des producteurs, sentant bien, malgré tout, que les choses lui échappent quelque peu. Pour tenter d’oublier ses déboires, Boris fréquente Aurélie, une fan absolue de cinéma, avec laquelle il a bien du mal à conclure malgré les rendez-vous et les appels du pied répétés.
On le sait, avec Le Discours, Broadway et Samouraï, Fabrice Caro est passé maître dans l’art de magner l’absurde, que ce soit en bande dessinée sous le pseudo de Fabcaro ou sous la forme de romans sous son propre nom. Ici, il déclame ici son amour du cinéma dans un roman où l’on sent, derrière la farce, et le trait grossi, une part de vérité, celle à laquelle doivent parfois se confronter scénaristes ou réalisateurs, devant composer avec la dure réalité de l’industrie du cinéma, d’autant plus quand on n’est pas encore reconnu.
« La situation s’est quelque peu décantée. Peut-être me suis-je braqué un peu vite. J’ai pesé, soupesé, tourné dans tout sens, reconsidérer la proposition de Jean Chabloz. Me posant cette question toute bête : en réalité, dans la liste de mes films cultes, combien sont en noir et blanc et combien sont en couleurs ? Le verdict est sans appel : la plupart de mes totems, que je le veuille ou non, sont bel et bien en couleurs. Et quelle couleurs ! Quand je pense à Paris Texas, à Mulholand Drive, Il était une fois en l’Amérique, à Holy Motors ! À quel moment le noir et blanc a-t-il forcément rimé avec qualité ? » (Journal d’un scénario, page 35)
Fabrice Caro tisse un récit où l’on retrouve, dès les premières pages, le style, la patte de l’auteur, avec une histoire qui va prendre une tournure de plus en plus rocambolesque et dont l’issue semble quasi inéluctable pour le pauvre Boris.
Et, pendant que notre pauvre scénariste fume clope sur clope, ne sachant plus à quel saint se vouer, le lecteur, lui, se réjouit de suivre l’évolution cauchemardesque de ce scénario qui va finir à l’opposé de ce qu’il était au départ.
Encore une jolie réussite pour Fabrice Caro qui nous offre là un délicieux et cocasse moment de lecture, – les scènes de repas, notamment où Boris consent à avaler des rognons sauce madère pour être raccord avec ses producteurs, sont particulièrement réussies –. avec un texte bourré de trouvailles et de clins d’oeil, signé d’un auteur amoureux du cinéma, plaçant ici est là quelques références chéries, que l’on partage évidemment.
Benoit RICHARD