Sparklehorse – Bird Machine : Hosanna !

Résurrection inespérée de Mark Linkous aka Sparklehorse avec la sortie de Bird Machine, son 5ᵉ album. 13 ans après sa disparition et les 4 merveilles discographiques publiées de son vivant, son jeune frère a exhumé ses derniers enregistrements, pour certains, captés par Steve Albini. On retrouve dans ce disque d’outre-tombe tout ce que nous adulions chez cet orfèvre mélodique fracassé. Putain que c’est beau !

Sparklehorse-2023
© Danny Clinch

En 2004 sortait From a Basement on the Hill d’Elliott Smith un an après sa disparition. Le disque avait redonné un coup de projecteur sur l’immense songwriter (qui n’avait rien publié depuis 2000) et avait permis à certains de le découvrir. Comparaison n’est pas raison mais Mark Linkous et Eliott Smith ont en commun leur fin tragique mais surtout leur singularité géniale de mélodistes concassées (Patti Smith comparait les chansons de Sparklehorse à du « charbon compressé en diamants »). Gageons que Bird Machine, album posthume de Sparklehorse, agira de la sorte et incitera les profanes, qui se seront délectés de ce 5ᵉ LP, à se plonger dans les 4 autres pépites discographiques du Monsieur.

sparklehorse-bird-machineAvant de nous immerger dans Bird Machine, une suite de 14 perles de pop indé (au sens noble du terme), rappelons aux oublieux ou aux plus jeunes quel fragile monument du rock indé était Mark Linkous.

En 1995 sort son 1er disque à la pochette très inquiétante et au titre imprononçable Vivadixiesubmarinetransmissionplot (imaginez-vous demander au disquaire un LP avec un pareil nom…). Premier chef-d’œuvre ! Tout est déjà là : Une alternance de chansons pop à vous fendre l’âme, chantées par une voix un peu trafiquée, accompagnées d’une guitare délicate, parfois hargneuse, d’une batterie sourde, tout ceci rehaussé par des arrangements électro-bizarroïdes et mélangées avec des titres énervés qui décrivent le mal-être du garçon. Deux sommets parmi les cimes de ce disque : Hammering The Cramps et Saturday (Les Mots Bleus à la mode Linkous : déchirant !). Après Good Morning Spider sorti en 1998, il publie en 2001 It’s a Wonderful Life. Ayant largement épuisé mon stock d’adjectifs dithyrambiques, j’avance (sans trembler) que ce disque fait partie des 100 meilleurs disques de pop-rock de tous les temps (à ranger à côté de Pet-Sounds, Loveless, Sergent Pepper, Nevermind).  A l’époque (et c’est assez étonnant et surréaliste pour le signaler) Sparklehorse pour It’s a wonderful life fait la couverture de Télérama alors que ce n’était pas vraiment le genre de la maison. Oui cet album est universel, du moins pour les gens de goût. Parmi les 8000 mètres de ce disque figurent (à écouter avec oxygène tant on suffoque d’émotion) Piano Fire avec la PJ Harvey au cœur ( !!!) et Dog Door avec Tom Waits au chant (si si), en écrivant cela je m’en veux déjà de ne pas citer d’autres classiques qui figurent sur ce second chef d’œuvre. Son dernier album en 2006, Dreamt for Light Years in The Belly Mountain (produit en collaboration avec Danger Mouse et les Flaming Lips) ne suscite pas l’enthousiasme de la critique mais est, au demeurant, excellent et résiste bien à la rigueur du temps.

Après ce concert de louanges, on imagine aisément l’inquiétude du fan écoutant les premières mesures de Bird Machine. Les fonds de tiroir post-mortem n’ont jamais été ma tasse de thé, je ne me suis toujours pas remis du traitement infligé à Bashung pour En amont ! Et c’est bien là l’énorme surprise de cette résurrection, le disque est abouti et rien ne laisse penser que Mark Linkous est dans l’au-delà et n’a pas participé à la production de cette dernière petite merveille.

Matt, son petit frère, sa femme Melissa ainsi que Bryan Hoffa (spécialiste de la préservation du son à la Bibliothèque du Congrès américain) ont fait un admirable travail basé sur des enregistrements faits à Chicago entre 2009 et 2010 avec Steve Albini (Producteur de Nirvana, Pixies, PJ Harvey, Thugs). Pour Alan Weatherhead, le producteur de Bird Machine, ainsi que les musiciens qui avaient déjà travaillé avec Sparklehorse : « il leur est apparu clairement que la majeure partie de l’album était en place. ». Mark Linkous avait donné le titre à l’album ainsi que la liste des morceaux (notes manuscrites transmises à son jeune frère).

Avant son suicide en 2010, Mark Linkous avait évoqué son souhait de faire un pur album pop comme Buddy Holly et son frère de préciser qu’à l’époque « il écoutait les Kinks, MF Doom, Grandaddy et les Beatles. ».

It Will Never Stop qui ouvre Bird Machine est notre première claque, on retrouve l’énergie punk du garçon (petite cure de jouvence). C’est encore plus évident dans I Fucked It Up, hymne joyeux à l’autodestruction, Linkous en connaissait un rayon…quant à Albini, il savait s’y prendre pour faire sonner ce genre de « stuff»…

Avec Kind Ghosts (à croire que Linkous était prescient…), on retrouve sa fragilité et sa patte inimitable pour concasser des mélodies pop dans une production constellée de sons électroniques (la parenté avec les Flaming Lips est évidente). Coté famille rock-indé, Jason Lyle de Grandaddy a rajouté des harmonies dans The Scull of Lucia, reste que cela reste du Sparklehorse. C’est d’ailleurs une des grandes caractéristiques de Bird Machine, au blind test on gagnerait à coup-sûr, c’est indubitablement du Sparklehorse mais attention ce n’est pas une redite : Bird Machine est un nouvel album singulier qui trouve sa place à côté des 4 autres et qui échappe à l’académisme.

Evening Star Supercharger, dévoilé avant la sortie de Bird Machine, est assez représentatif de sa musique à savoir une mélodie – assez mainstream – qu’on traficote jusqu’à la corde pour la rendre implacable… on lui préfèrera néanmoins Chaos of the Universe, allez, rêvons pourquoi pas un tube sur les radios indés, ah oui, j’oubliais, les tubes cela n’existe plus…

Plus étonnant encore est l’écoute de Daddy’s gone qui rappelle un standard que Lennon aurait oublié d’écrire (voir plus haut les influences clairement revendiquées). On retrouve la capacité de Linkous à nous tordre le cœur dans Falling Down ou encore Everybody’s gone to sleep : le garçon n’était pas spécialement un boute-en-train et c’est aussi pour cela que nous l’aimions.

Alors pourquoi avoir attendu si longtemps pour nous livrer un tel trésor ? Je vous livre la réponse in extenso donné dans le dossier de presse : « Entre le moment où Mark a commencé à travailler sur ces chansons et la sortie du disque, 14 années se sont écoulées, une longue période pour une collection de morceaux qui étaient déjà bien avancés au moment de sa mort. Mais il y aussi quelque chose dans la gestation longue et complexe de l’album, le chaos des vieilles bandes et l’amour que la famille de Mark et ses amis musiciens proches ont apporté à chaque détail. » Dont acte !

Inutile de vous répéter que Bird Machine est plus que sérieusement recommandé et ne dépareillera pas auprès des précédents classiques de Sparklehorse.

Éric ATTIC

Sparklehorse – Bird Machine
Label : Anti- / PIAS
Date de sortie : 8 septembre 2023