[Interview] Grant Haua : « La France, ça me paraît le pays idéal pour moi… »

Si, à Paris, la Nouvelle Zélande n’est pas à la fête au rugby, l’un de ses plus brillants musiciens, le Bluesman maori Grant Haua est en train de marquer des essais. A quand la transformation ?

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Photo : Philip Ducap

Benzine : Grant, on va commencer par l’actualité : vous êtes un fan de rugby, on a entendu dire… en tout cas, la pochette de votre nouvel album le laisse entendre…

Grant : Oh oui, j’ai grandi en jouant au rugby, depuis que j’ai 7 ans, et joué jusqu’à mes 21 ans. Dans ma famille, tout le monde était « rugby » ! Sur la pochette, ce que je fais s’appelle une « pukana », qui provient du haka. André de Dixiefrog, adore cette photo, on l’a donc mis sur la pochette de l’album. J’en suis très content, en fait…

Benzine : Alors, évacuons le sujet qui fâche, c’est quoi votre pronostic pour la Coupe du Monde ?

Grant : Oh, ce week-end (NDR : la Nouvelle Zélande a perdu face à la France dans le match d’ouverture de la Coupe du Monde), ça a été une pilule bien amère à avaler ! On savait que la France serait difficile à battre à domicile, devant 80.000 personnes. Les All Blacks ne sont pas au mieux de leur forme, alors que la France a été convaincante depuis un, voire trois ans déjà. J’espérais un meilleur résultat, mais…

Benzine : Parlons plutôt musique, est-ce que vous pouvez nous parler de votre background, votre éducation… en dehors du rugby ?

Grant : Je viens en effet d’une famille de musiciens, mon grand-père était multi-instrumentiste, il jouait en permanence dans des groupes quand j’étais petit. Il était toujours par monts par vaux à donner des concerts. Mon oncle, aussi, c’était un musicien fantastique, un guitariste. Mon père chantait. Ma mère, non, mais elle écoutait toujours de la musique : de la soul, du Motown, Otis Redding, Stevie Wonder… ça a été la bande sonore de mon enfance. Quand on est enfant, on absorbe tout ça tellement facilement… Mon père, lui, était plutôt dans le Rock : Dire Straits, les groupes heavy comme Bad Company. Entre eux tous, j’ai reçu une sacrée éducation musicale ! Quand j’y repense, je me dis : «  Ouah ! Ces chanteurs, ces Otis Redding, Wilson Pickett, Sam Cooke, ils sont toujours mes héros aujourd’hui. Ils ont placé la barre, du point de vue vocal, à un niveau tellement élevé que je ne pense pas qu’on parvienne encore à l’atteindre, aujourd’hui. » Oui, c’est de là que je viens.

Benzine : On n’entend pas tant que ça de musiciens néo-zélandais jouer du Blues… Quelle est la connexion entre le Blues et votre culture ?

Grant : J’ai commencé à écouter du Blues, j’avais déjà 30 ans, je ne vous dirai pas en quelle année c’était (rire !). C’était Mary Had a Little Lamb de Stevie Ray Vaughan, qui passait à la radio, dans les charts. Il y avait aussi Robert Cray à cette époque, et cette résurgence en Nouvelle Zélande a été forte, nous avons eu plusieurs artistes qui ont été iconiques pour notre scène locale. Midge Marsden, par exemple, était très imprégné de blues, au niveau des textes aussi, et il a été ma grande influence. Mais parce que nous sommes une petite île, isolée dans le Pacifique, ça nous confère une perspective unique sur la manière dont le Blues peut être adapté à notre situation : on approche les chansons de manière différente, sans doute.

Grant Haua 02Benzine : Votre nouvel album nous a paru d’emblée plus agressif, plus Rock, plus lourd…

Grant : La guitare électrique me manquait, j’ai donc pris la décision de faire un disque plus électrique, et les chansons étaient plus « heavy », elles demandaient ce genre d’approche… C’est marrant, l’autre jour, je devais jouer un set acoustique et j’ai essayé de les jouer, ces nouvelles chansons, mais ça ne fonctionnait pas en acoustique ! Sans basse, sans batterie, je ne trouvais pas la dynamique ! J’ai réalisé ça de la manière la plus dure possible, avec ce set… (rires). Oui la guitare électrique me manquait, et c’est important pour moi d’avoir ces deux choses dans ma carrière : jouer en solo, et jouer dans un groupe, les deux sont cool. Et puis, ça peut me rendre plus attractif pour les organisateurs de festivals, le fait de pouvoir jouer dans ces deux configurations.

Benzine : L’album est plus impactant, il peut potentiellement avoir plus de succès. Mais du coup, votre voix, que nous aimons tellement, est moins proéminente…

Grant : Oui, un ami m’a dit : « mec, tu aurais dû mettre ta voix plus en avant dans le mix ! » ? Je me suis dit : « Merde, il a raison ! » (rires)

Benzine : Donc, où est-ce que vous vous voyez aller maintenant, à ce stade de votre carrière ?…

Grant : Il faut dire que j’ai commencé la musique assez tard, parce que d’abord, avant tout, je jouais au rugby. Mais me voilà, à mon âge, toujours en train d’essayer de percer ! (rires). Pour répondre à votre question… la France ! ça me paraît idéal, tout est si proche ici, je peux aller jouer facilement en Belgique, en Allemagne… Oui, je pense sérieusement à venir m’installer en France, j’en ai parlé à ma femme… Et en plus, dans ce pays, il y a un véritable soutien des activités artistiques, ce qui est assez unique. Des musiciens comme Kaz Hawkins et Neal Black m’ont dit : « Si tu es prêt à ce genre d’engagement, de venir vivre ici, il y a pas mal de choses que tu peux faire, en Europe où tout est près. La Nouvelle Zélande, c’est seulement 5 millions d’habitants, et il y a une limite au nombre de fois que je peux en faire le tour, sans saturer les gens ! Je vais régulièrement en Australie, mais ici, c’est une autre dimension, il y a plusieurs centaines millions de gens que je peux atteindre… Et puis j’aime bien ces petits villages français, à deux ou trois heures de Paris.

Benzine : Et en ce moment, qu’est-ce que vous écoutez comme musique ?

Grant : Marcus King, dans le Blues, sa voix et sa guitare… Snarky Puppy… Il y a pas mal de jeunes bluesmen qui apparaissent, qui jouent de la guitare brillamment. J’adore la guitare électrique, mais ça n’a pas besoin d’être rapide, il suffit qu’il y ait de l’âme. Ça peut être lent et me faire tout autant d’effet. Mais je reste accro aux vieux trucs, Sly and The Family Stone par exemple…

Propos recueillis par Eric Debarnot

Photos : Philip Ducap

Grant Haua sera en concert au Jazz Club Etoile le samedi 23 septembre