Beharie – Are You There Boy ? : une des révélations de 2023

Beharie, son nom vous est inconnu pour l’instant mais après l’écoute de son premier album, Are You There Boy ? vous ne jurerez plus que par lui, ce lointain cousin du nord d’un Frank Ocean ou d’un Thomas Dybdhal. Ce disque est tout bonnement imparable.

© Shawn Arvind

Ce qu’il y a de fort avec cette jeune génération de musiciens que l’on voit émerger depuis quelques temps, c’est que ces jeunes gens se sont éduqués en surfant sur Internet sans contrainte et en refusant les querelles de clocher. Mieux que cela, pour eux, la notion de style et de genre n’avait aucune raison d’être. Un peu comme Baptiste W. Hamon qui disait dans ces colonnes que l’on pouvait tout autant aimer Townes Van Zandt que la variété française, d’autres artistes comme lui clament haut et fort qu’il ne faut pas bouder son plaisir et peu importent le bon ou le mauvais goût.

A l’écoute de Are You There Boy ?, le premier album du norvégien Beharie (Christian Beharie), l’évidence est de mise. Ce jeune homme, dans les années 90, a tout écouté, de la Pop à la Bossa Nova et a tout digéré. Le nom qui revient le plus à son écoute, c’est celui de Frankie Ocean mais le norvégien en a plus dans sa besace que cette seule référence. Le disque possède des couleurs très différentes, de la Pop la plus classique à la Soul en passant par une Pop bien plus orchestrée voire baroque.  Le nom qui me vient à l’esprit, c’est celui de ce musicien un peu déjanté et surtout un peu oublié aujourd’hui, celui de Lightspeed Champion alias Devonte Hynes qui, comme Beharie, a fait du crossover et de la collision entre les genres une marque de fabrique, une identité propre. En terme d’identité, on imagine un Christian Beharie fantasque et fébrile, plein d’une étrangeté qu’il ne maîtrise pas totalement et qu’il assume encore moins. Ce disque solaire a un je ne sais quoi d’à la fois régressif et maîtrisé.

Christian Beharie se délecte des climats différents qui habitent son disque, Are You There Boy ? sonne bel et bien comme une oeuvre inaugurale dans cette idée que le créateur part un peu dans tous les sens sans réelle volonté de cohérence. Il joue avec les ruptures de ton comme pour mieux nous perdre, Wake Up et son piano en ouverture nous entraînent sur une fausse piste.

On devine derrière cette incohérence un être complexe, habité par le doute, ce doute qui stimule la créativité. Pas un doute paralysant mais plutôt une stimulation de l’esprit. Par instant, ce disque de bric et de broc évoque Cosmo Sheldrake et son The Much Much How How And I (2017) pour cette même anarchie bien ordonnée, pour cette même folie ouverte aux quatre points cardinaux.  Le disque emprunte à la musique noire pour son énergie et sa fébrilité rappelant par instant le Curtis Mayfield de There’s No Place Like America Today (1975). Desire, par exemple, joue sur ce terreau-là.

On voudrait enfermer vite fait Beharie dans cette image de chanteur soul un peu béat mais il nous contredit tout de suite avec I Don’t Need To Tell You Everything où le jeune musicien fait se côtoyer un Thomas Dybdhal imaginaire et une Blossom Dearie fantasmée dans une chanson que l’on suppose d’une ironie mordante. Chacune des chansons de Are You There Boy ? offre la possibilité à Beharie d’incarner différents personnages car plus qu’un songwriter, on comprend vite que Beharie est avant toute chose un storyteller. Et si Beharie était la réponse nordique à Andy Shauf ? Comme le canadien, le norvégien s’appuie sur des arrangements complexes parvenant pourtant à se faire oublier, ce que l’on appelle l’élégance de la ligne claire.

On suppose également que Beharie a écouté un grand nombre de disques, certains qu’il a bel et bien compris, d’autres moins et que de ce malentendu est né l’identité propre de ce musicien quelque peu inclassable. Beharie construit sa Pop un peu à la manière du Jim O’Rourke d’Eureka (1999), par une addition incompréhensible de genres et sous-genres, sans jamais se limiter. Comme O’ Rourke, Beharie est un laborantin du son. Il aurait d’ailleurs pu comme O’Rourke nommer ce disque Simple Songs non sans une certaine ironie car la chanson à la manière de Beharie est un enchevêtrement d’influences et de sons disparates qui finissent que par ressembler à leur auteur comme sur Daydreams. Beharie touche à tout, triture et trafique un peu comme le Beck d’Odelay.

Are You There Boy ? est certainement le disque le plus ouvert et le plus curieux que vous entendrez en 2023.

Greg Bod

Beharie – Are You There Boy ?
Label : Blu Perspective
Sortie le 20 octobre 2023