[Netflix] « Voleuses » de Mélanie Laurent : Alex and Carole

Sur le modèle de Thelma and Louise, mais adapté au public Netflix, c’est-à-dire avec de l’action et des gros guns, Mélanie Laurent réalise avec Voleuses un petit hold up sur nos cœurs. Ce n’est déjà pas si mal !

Voleuses
Adèle Exarchopoulos, Mélanie Laurent – Copyright Gael Turpo/Netflix

Il est très rare qu’un « film Netflix » ciblé « cinéma d’action » présente le moindre intérêt, même si l’on sait que la direction de la plateforme vient d’annoncer une inflexion dans la politique de production qui devrait désormais se focaliser sur la « qualité » plus que la « quantité ». Il est également plus que rare que, même en notre époque que d’aucuns estiment trop « woke », et où le cinéma d’action met de plus en plus en avant des personnages féminins, l’amitié féminine soit au centre d’un film « commercial ». Finalement, alors que plusieurs décennies se sont écoulées et que l’on prétend que la société a fondamentalement changé, Thelma et Louise reste LA référence en termes de « buddy movie » devenu un grand succès populaire qui soit centré sur deux femmes.

Voleuses afficheIl faut donc voir, et ensuite célébrer l’existence de Voleuses, le nouveau film de Mélanie Laurent, qui tente de travailler l’héritage du film de Ridley Scott, de l’actualiser en fonction des goûts du public actuel – donc d’y ajouter de l’action, des « gros guns », etc. – sans en trahir l’esprit. Les premières minutes du film, assez bluffantes puisqu’on suit deux jeunes femmes en tenue de « guerrières » essayant d’échapper en quad à des attaques de drones, avant de se jeter dans le vide, tout en devisant sur les déboires amoureux fort ordinaires de l’une d’elles, définissent d’emblée et la vision de Mélanie Laurent, et le programme du film, pour le moins décalé par rapport à la promesse marketing de l’affiche. Car, à travers l’histoire du « dernier casse avant de se retirer des affaires » – c’est-à-dire le sujet le plus cliché qui soit – de Carole (LA voleuse du titre) et d’Alex (la véritable « guerrière », tireuse d’élite et experte en combat à mains nues), Voleuses va nous montrer une forme d’amitié entre femmes très rarement vue à l’écran : une relation pleine de tendresse, de complicité, ludique et dépourvue de rivalité, les hommes n’étant considérés que comme dispensateurs jetables de plaisir, voire géniteurs anonymes, et n’étant jamais en tout cas une menace pour le « couple » solide, « sérieux » que forment nos deux aventurières. Bien sûr, la jeune Alex (un rôle parfait pour permettre à Adèle Exarchopoulos de déployer tout son potentiel comique, mais également de possible star de films d’action) a un cœur d’artichaud et s’amourache du premier imbécile venu, tandis que Carole, plus mûre, est l’ancre du « couple », tout en étant aussi la metteuse en scène de leur vie, aussi professionnelle que privée : un personnage tout naturellement incarné par la réalisatrice du film.

Tout cela est délicieux, léger, régulièrement très drôle, mais dégage surtout un sentiment de fraîcheur, d’originalité véritablement peu commun dans les productions Netflix. Ce qui ne veut pas dire, malheureusement que Voleuses soit la réussite qu’il aurait pu être. Car le revers de la médaille, c’est bien sûr que Mélanie Laurent n’en a pas grand chose à faire de l’aspect thriller/policier ou « film de casse » de Voleuses, et que ceux qui cherchent du spectacle seront forcément déçus. On passera sur les clichés autour de la Marraine jouée sans grand éclat par Adjani, mais on regrettera que l’arrivée d’un troisième personnage – Sam – ne soit que très peu exploité : la pilote d’élite ne servira pas à grand chose dans le casse principal, où l’on s’intéressera d’ailleurs beaucoup plus à la baraque à frites tenue par l’inénarrable Philippe Katerine qu’au vol – assez routinier – d’un tableau. Mais comme Sam ne mettra pas non plus en danger l’équilibre de la relation entre Alex et Carole, à quoi servira réellement son personnage, hormis à justifier une course en moto sur une route corse en lacets, par ailleurs mille fois moins convaincante que son équivalent lorsque Tom Cruise est au guidon (ce n’est pas un reproche, juste un constat…) ?

Il y a dans Voleuses pas mal de bonnes idées (la maison invisible dans les bois, le combat à mort entre Alex et un tueur confondu avec un partenaire sexuel potentiel), et il y a aussi quelques mauvaises idées, en premier lieu l’absurde massacre des tueurs de lapin en Italie. Mais il y a surtout cet évidente négligence d’une réalisatrice qui ne prend jamais au sérieux le « genre » auquel appartient son film : cela pourrait être interprété comme une posture « surplombante » vis à vis d’un contrat avec le spectateur que Mélanie Laurent n’a pas l’intention de tenir. Heureusement, l’enthousiasme qui se dégage du film, dont le tournage a semble-t-il été l’occasion pour les acteurs de bien s’amuser, rattrape le coup. En tous cas, ce décalage entre les attentes « naturelles » du public et ce que Voleuses livre (a l’intention de livrer) est parfaitement illustré par la fin – assez culottée, il faut le reconnaître : le film nous privera, avec une désinvolture étonnante, du minimum d’explications auxquelles nous imaginons que nous avons droit pour justifier le « twist final ».

A l’heure où nous écrivons ces lignes, Voleuses est le film Netflix le plus regardé sur la planète, dépassant ses « modèles » hollywoodiens : le pari audacieux de Mélanie Laurent est gagné, et quelles que soient les réserves que nous avons formulées, nous ne pouvons que nous en réjouir.

Eric Debarnot

Voleuses
Film français de Mélanie Laurent
Avec : Mélanie Laurent, Adèle Exarchopoulos, Isabelle Adjani, Manon Bresch…
Genre : action, comédie
Durée : 1h55
Date de mise en ligne (Netflix) : 1er novembre 2023