On ne va pas vous répéter pour la 1000ème fois qu’une bonne partie de la meilleure musique vient de nos jours des Antipodes… mais en fait, si ! The Native Cats viennent de Tasmanie, et cet éloignement des pôles du Rock australien ne les empêche pas de trimbaler une sacrée dose de mal-être et de colère, qui leur permet de faire de la musique « qui arrête les conversations » (suivant la formule consacrée). La preuve avec ce passionnant The Way On Is The Way Off…
Face à la relative monotonie de ce que nous proposent les quelques artistes ou groupes de Rock encore « reconnus », dont la plupart peuplent la majorité des Top 10 de fin d’année (les nôtres y compris !), on peut toujours compter sur une petite balade du côté de l’Australie ou de la Nouvelle-Zélande pour se prendre quelques bonnes claques revigorantes. Et quoi de meilleur pour la santé et pour le moral, en fait, en ces périodes de (fausse) bienveillance générale (Noël, les vœux de la nouvelle année, ce genre d’horreur…) et d’abus de nourriture et d’alcool, que de s’oxygéner avec de la musique inconfortable, irritée, voire douloureuse, composée et interprétée par des gens qui vont mal et qui ne sourient pas à la vie ? Et qui, parce que c’est bien entendu toujours comme ça, nous font un bien immense grâce à tout le mal qu’ils se donnent ?
The Native Cats sont un duo basé à Hobart, qui est – le saviez-vous ? – la capitale de l’état de Tasmanie, une île au sud-est de l’Australie? Ces chats-ci se nomment Julian Teakle, à la basse, et Chloe Alison Escott aux claviers, bidouillages électroniques divers et au chant (souvent plus parlé que chanté, en fait). S’il fallait étiqueter la « musique » que ces deux-là font sur leur cinquième album, conçu dans la douleur, l’isolement et le doute pendant le long confinement que l’Australie a connu du fait de la pandémie, et intitulé d’après un aphorisme abscons de Peter Ubu (The Way On Is The Way Off), on a envie de dire qu’il s’agit de la combinaison d’une électro post-punk minimaliste et de textes récités avec une sorte de morgue (régulièrement) provocatrice pas si éloignée de celle de Sleaford Mods. Enfin, si les Mods se laissaient aller çà et là, comme sur les magnifiques six minutes de Dallas, à des rêveries mélancoliques et dépressives.
Lorsque la basse de Julian est bien en avant, les aficionados de la cold wave millésimée 80 trouveront facilement leur marques, du côté d’un Joy Division qui n’aurait jamais renoncé à son primitivisme originel (Rain On Poison, fascinant…). Mais c’est, logiquement, quand ils sont les plus combattifs que The Native Cats sont les plus « séduisants », comme sur My Risks is Art, le single agressif qui a annoncé l’album, ou comme sur Suplex, qui s’épanouit pourtant en une gerbe de notes de piano mélodique, puis abstraite… Ou encore comme sur le riff « stoogien » qui structure le merveilleux Tanned Rested and Dead, sept minutes d’extrémisme réduit à une forme ultra-minimaliste qui rappellera la démarche des regrettés Suicide : ce morceau est d’ailleurs la pièce de résistance de l’album, et se voit même enrichi par des backing vocals acides qui en démultiplient l’effet en un finale terriblement addictif.
Sur Battery Acid, notre paire de « joyeux drilles » osent même un rythme « dansant » et une quasi-mélodie chantée par Chloe de son étonnante voix androgyne, avant que tout ça se délite dans une tristesse effroyable : « I’m a machine / … / Through it all, I was a machine / This is the battery acid » (« je suis une machine / .. / J’ai traversé tout ça comme une machine / ceci est l’acide de batterie »)… comprenne qui pourra.
The Way On Is The Way Off se clôt sur une belle (quasi-)ballade au piano, Kay Carroll, qui démontre que The Native Cats pourrait avec un petit effort, nous jouer de la musique « normale ». Mais franchement, avons-nous vraiment besoin d’un autre groupe de musique « normale » ?
Eric Debarnot