« Une sale française » de Romain Slocombe : une femme et son double

Le prolifique Romain Slocombe nous plonge une nouvelle fois dans les années sombres de la collaboration à travers le portrait croisé de deux femmes qui n’en sont peut-être qu’une. Un roman captivant et à la forme singulière.

Slocombe Romain par benedicte roscot
© Bénédicte Roscot

Aline Beaucaire est-elle Aline Bockert ? C’est la question que pose le nouveau roman de Romain Slocombe, Une sale française, et qui taraude le lecteur durant une bonne partie de ce livre. Ce roman, c’est l’histoire de deux femmes qui n’en font peut-être qu’une. La première, Aline Beaucaire, un peu naïve, est alsacienne, fille de concierges qui n’a pas eu le moindre scrupule à laisser son fils à ses parents et à oublier son mari, retenu prisonnier par les Allemands dans un stalag, pour se laisser embarquer dans une histoire d’amour avec un sergent pilote de l’armée française, rencontré en Allemagne, où elle travaille, et qui penche plutôt du côté des nazis. Un homme avec lequel elle va passer en zone libre avec pour projet final de rejoindre Marseille, puis l’Algérie. Et peu importe, au fond, ce que trame son amoureux, elle ce qu’elle veut, c’est voir du pays et profiter du soleil. Tout cela, on l’apprend par le biais d’un mémorandum, une confession qu’elle fait au commissaire du contre-espionnage qui l’interroge dans les bureaux de la police de Marseille, en 1947.

une salle francaise couvRien à voir avec Aline Bockert, une quasi homonyme, qui elle, serait née en Suisse. Une vraie collabo, activiste forcenée, surnommé « La panthère rouge » et impliquée dans la persécution et la déportation de juifs. Reste qu’il faut démêler le vrai du faux pour la direction de la surveillance du territoire, et surtout savoir si ces deux femmes n’ont rien à voir l’une avec l’autre.

Parti d’une histoire vraie, Romain Slocombe a imaginé un récit nourri de nombreuses archives, alternant, au fil des chapitres, les témoignages d’Aline Beaucaire avec les rapports de police faisant état des actes et des mouvements d’Aline Bockert.

« Je m’abandonnais à mes rêves car je croyais que les cauchemars étaient finis. Loin derrière nous le froid de l’Allemagne et ses croix gammées, les trains bondés traversant la zone interdite, les maigres repas d’Arbois, la nuit atroce dans la neige, les cris et le sang… Ici la nature douce de la Provence nous invitait à tout oublier, à célébrer la beauté du printemps et de l’amour. C’était la zone libre. »

Sur près de 200 pages, le lecteur tente de démêler le vrai du faux, de lire entre les lignes les moments de vérité, ou les affabulations’ sans vraiment jamais pouvoir se faire un avis définitif. Il faudra donc attendre la toute fin du livre pour savoir si ces deux femmes sont ou non la même personne.

Avec ce nouveau livre plein de mystère et à la forme plutôt singulière, le père de « l’inspecteur Sadorski » nous propose une nouvelle plongée dans l’histoire de la Seconde guerre mondiale à travers deux portraits de femmes prises au cœur de la tourmente, et ayant fait des choix bien différents. Il nous replace dans le contexte géographique de l’époque, avec le point stratégique que constituait la ligne de démarcation, qui passait notamment par le Jura, autour d’Arbois et Poligny, là où beaucoup y ont laissé la vie après avoir voulu passer en zone libre.

Benoit RICHARD

Une sale Française
Roman de Romain Slocombe
Editeur : Le Seuil
272 pages – 20€
Date de parution : 5 janvier 2024