Entre dark folk, metal conceptuel, avant-garde électronique et rock gothique, où se situe Chelsea Wolfe ? Nulle part et partout, et c’est bien pour ça qu’il fallait être à l’Elysée Montmartre mardi soir…
Dans le grand chaos général des « genres musicaux » caractéristique d’une époque où il devient de plus en plus difficile de se trouver une identité artistique, entre la lourdeur de l’héritage historique et l’accélération démentielle de la « consommation » de musique, Chelsea Wolfe est une artiste exemplaire. Entre dark folk, metal conceptuel, avant-garde électronique et rock gothique, où se situe-t-elle ? Nulle part et partout, et c’est bien pour ça que sa démarche est passionnante, et qu’en dépit d’une musique peu facile d’accès, elle a désormais un public conséquent, et surtout passionné, qui se presse ce soir à l’Elysée Montmartre, pas totalement sold out, mais quand même pas loin de l’être.
19h45 : Kælan Mikla, ce sont trois (jeunes) sorcières islandaises, avec un goût prononcé pour les mythes et légendes de leur pays : ça promet de belles émotions, du mélange glace et feu, du Björk cold wave, tout ça… La réalité est moins belle que nos rêves, car durant les 40 minutes qui suivent, nous avons droit à des copiés collés, pour la basse et les claviers, de divers morceaux de The Cure période Faith / Pornography. Bon, ce sont là des sources d’inspiration d’un excellent niveau, à condition d’en sortir, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Alors on appréciera quand le chant devient perçant – bon, certains détestent, soyons honnête – car cela introduit une dose de folie dans cette musique finalement trop prévisible. Et les deux derniers titres sont les meilleurs – Sólstöður et ses hurlements de damné(e)s, et Hvítir Sandar avec, enfin, une mélodie accrocheuse (à noter que ce titre a été créé en collaboration avec le groupe français de blackgaze, Alcest, dont les fans espéraient la présence sur scène). Bon, Kælan Mikla sont encore un jeune groupe, elles ont le temps de trouver leur voie et d’affirmer plus clairement leur singularité.
20h50 : avec 10 minutes d’avance sur le programme, Chelsea Wolfe, la grande diva gothique – vêtue d’une longue robe noire dévoilant ses épaules (chaque carré de peau ainsi révélé étant apparemment tatoué) – démarre son set sur Whisper in the Echo Chamber, qui est l’ouverture du dernier album (She Reaches Out To She Reaches Out To She). C’est immédiatement très impressionnant, cela va le rester durant tout le concert. Soutenue par un trio redoutable – avec une « batteuse » à la frappe tellurique et un guitariste inspiré – Chelsea va parcourir en une heure vingt la totalité de l’album, mais surtout ce spectre musical étendu qui la caractérise : on oscille entre electro atmosphérique, folk classique, et nu-metal frôlant l’indus. Et, étonnamment, tout est bon, tout fonctionne, mieux, tout est crédible.
Bien sûr, nous avons tendance à préférer les montées en puissance où les martellements de la batteuse forcenée font monter l’intensité et où l’on frôle l’extase, en espérant une libération orgasmique… qui n’arrive jamais. Car Chelsea Wolfe est dans le contrôle total, n’exsudant qu’un sentiment de calme, de maîtrise, littéralement olympiens. Malgré un public qui lui semble dévoué corps et âme, et qui se presse devant la scène, en prêtant une attention totale, passionnée, aux morceaux, Chelsea ne laisse jamais la puissance de sa musique exploser, déborder. Et on peut trouver ça dommage, même si l’on ne peut qu’admirer la technique impeccable du chant, et la perfection sonore de la musique : mais si vous aimez la folie, l’excès, les sentiments forts, passez votre chemin !
Et le concert se termine par The Liminal, jouée dans une version acoustique, en solo. Et est prolongé par un rappel d’un seul titre (sommes-nous punis par rapport à d’autres publics au cours de la tournée qui ont eu des rappels de trois ou quatre morceaux ?), Be All Things, soit de nouveau Chelsea Wolfe en sombre princesse folk quasiment classique… Difficile de ne pas se sentir un peu frustré, non ?
D’ailleurs, quand nous quittons l’Elysée Montmartre, et que la sono de la salle reprend le dessus, c’est pour diffuser les dernières chansons composées et chantées par Leonard Cohen avant sa disparition : il est difficile de ne pas sentir qu’il y a plus d’émotion dans le minimalisme du chant du vieux sage que dans le set complet, aussi brillantissime soit-il, de Chelsea Wolfe ! Bref, nous avons assisté à un concert techniquement exceptionnel, dont nous regretterons seulement qu’il ne soit pas sorti de temps en temps de « ses rails ». La prochaine fois, peut-être ?
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil