[Live Report] Shannon Wright au Théâtre Zingaro (Aubervilliers)

Vendredi soir, Shannon Wright était de retour à Paris, ou plutôt à Aubervilliers, dans ce lieu singulier qu’est le Théâtre Zingaro, pour nous offrir une heure et demi d’un set comme toujours intense, parfois complexe et tordu. Décidément, une très grande dame, trop méconnue…

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Shannon Wright au Théâtre Zingaro – Photo : Cathimini

La venue, rare, de Shannon Wright, à Paris, justifiait à elle seule le déplacement au Théâtre Zingaro, à Aubervilliers, lieu choisi pour le lancement du festival Fragile. Ce nouveau festival se présente comme une initiative du tourneur Astérios, «  une série de concerts inédits, singuliers, rares (…) Ici et pas ailleurs. Il s’agit de faire entendre la musique autrement. Il s’agit pour chaque artiste de se réinventer. Il s’agit pour le public d’assister à ce qu’il ne connaît pas ».

Vaste programme qui, dans les faits, propose des prestations d’artistes soit confirmés (Mayra Andrade, Keren Ann, Arthur H, Tinariwen…) dans des formats se voulant différents, soit « fragiles », en développement, porteurs d’espoirs, mais déjà un minimum assis (Léonie Pernet, Molécule…) – ne mettant ainsi pas trop en péril l’équilibre économique de l’initiative, qui permet au Théâtre Zingaro de générer des revenus complémentaires alors que la troupe de Bartabas a renoncé aux tournées à l’étranger depuis la pandémie. Troupe qui, soit dit en passant, est en répétition de sa prochaine création, qui sera présentée à partir de l’automne 2025, selon la boîte vocale du cirque équestre. Une fois joint, plus tôt, le standard du festival, on nous y confirme l’horaire atypique : concert à 20h, sans première partie, « avec ouverture des portes à 18h30 ».

Shannon Wright Zingaro Cathy Mini 02En ne sachant pas trop qui rêve de s’enfermer dans le noir, certes poétique, du théâtre Zingaro un vendredi soir dès 18h30, on se dirige donc vers le Fort d’Aubervilliers plein d’autres questions : au fond, quel est le public de Shannon Wright ? Le lieu sera-t-il adapté ? Va-t-elle jouer juste une heure et se débarrasser au plus vite de nous, et terminer ainsi au plus vite sa tournée française, ainsi que l’horaire début pourrait le suggérer ?…

Une fois sur place, toutes les réponses tombent très vite : compte tenu du nombre de retardataires, le début du concert a été décalé à 20h15, et le personnel de Zingaro, comme pour les spectacles de la troupe, dirige placidement les spectateurs à leur place (« répétez si vous avez bien compris : la cour, à gauche, le jardin, à droite… Et Manuel Valls, il est où ?!? »). La scène a été installée proche d’une des entrées des artistes, le reste de la piste étant recouverte de parquet pour l’occasion, et l’enceinte a été ouverte aux trois quarts aux spectateurs, l’espace derrière et autour de la scène n’étant pas accessible. La configuration reste celle du mode cabaret voulu par Bartabas depuis plusieurs spectacles, avec pour les deux ou trois premières rangées, des tables pour les spectateurs, à qui apéritifs et verres (d’eau) sont servis.

Une configuration intimiste, « fragile », cohérente avec le concept du festival et, a priori, avec l’univers de Shannon Wright. Cette dernière arrive donc à 20h15, et nous transporte vite dans son monde, explosif à souhait : en jean de la tête aux pieds, cachée comme de coutume derrière sa frange, elle prend sa guitare, et fait exploser les décibels en mode power trio avec l’appui implacable de section rythmique du groupe Shipping News. Soit deux quinquas en t-shirts et jean noirs informes, Todd Cook (basse) et Kyle Crabtree (batterie), ce dernier ayant tout de même un t-shirt à l’effigie du label Touch’n’go. Le son est ultra carré et puissant, blanc, avant même qu’on n’ait encore pensé à l’éternelle (et justifiée) référence PJ Harvey, c’est… à Shellac, le groupe de feu Steve Albini, son producteur historique, que cela fait penser. Et c’est parti pour un set d’une quinzaine de chansons, en une heure pile au chrono, suivi de deux rappels de quatre chansons au total. Le tout sans gras, à l’os, quasiment sans interaction avec le public, par ailleurs très divers, mais toujours fasciné et enamouré, qui explose en applaudissements nourris, voire frénétiques, à chaque fin de chanson.

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La musicienne essaye de réchauffer l’ambiance et propose au public de se lever et danser pour celles et ceux qui souhaitent, dès la fin du troisième morceau : le succès est mitigé, la configuration n’est pas idéale pour cela, qu’à cela ne tienne, les décibels et l’intensité de l’interprétation serviront à combler la distance entre scène et spectateurs. Tout, ici, présente un enjeu, une intensité, rares, avec simplicité, sans apprêt. La chanteuse de Jacksonville est revenue d’entre les morts – celles de Steve Albini, de Philippe Couderc, boss du label bordelais Vicious Circle qui l’a signée il y a près d’un quart de siècle, mais aussi la sienne, suite à la découverte d’une maladie auto-immune (un diabète) qui a failli lui être fatal – pour accoucher de Reservoir of love, son treizième album, sorti en 2025. Et cela s’entend, sur enregistrement comme sur scène.

Le set décline bien les deux univers de Shannon Wright : pour deux tiers, le rock abrasif, à fleur de peau, donnant parfois l’impression d’être devant PJ en 1992, avec ses chansons ramassées et ses montées dans les aigus, et, pour un tiers, les berceuses à l’orgue, seule ou accompagnée, toujours un peu tordues ou plus complexes qui n’y paraît. On s’étonne que Shannon Wright pioche modérément dans son dernier album, tant les réussites y sont nombreuses : sur scène, comme sur l’album, Mountains et Countless days sont des sommets. Dans le registre intense, on retiendra You’ll be the death et Who’s sorry now ?, pour lesquels des frissons sont autorisés. Après un premier rappel en mode trio, qui voit Kyle Crabtree quitter la scène en photographiant la salle (sans doute la plus grande de la tournée française de la chanteuse), cette dernière revient pour un second rappel, seule à l’orgue.

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Evidemment magnifique et qui, au moment de nous rendre au métro ligne 7, après quasiment une heure et demie de set, relance d’autres questions, en fait une seule, toujours la même : mais pourquoi cette artiste, si brillante, n’a-t-elle pas plus de succès ? Mystère et boule de gomme, tant son talent, son intensité sont rares. Peut-être Shannon Wright a-t-elle au fond le succès auquel elle aspire, qui est à la fois la récompense, mais aussi le prix, de son authenticité, celle qui ne lui fait rien lâcher sur le terrain esthétique, depuis près de 30 ans. Ces artistes sont, on le sait, rares.  Nous les chérissons. Shannon, ne lâche rien, nous serons toujours là !

Texte : Jérôme Barbarossa
Photos : Cathimini

Dernier album paru : Reservoir of Love (Vicious Circle Records).

Au cinéma, on peut entendre aussi Shannon Wright sur le générique de fin du film La Pampa, encore sur les écrans (avec These Present Arms, saisissant).

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