« La guerre par d’autres moyens » de Karine Tuil : une incursion peu convaincante dans les coulisses du pouvoir

Entre politique et cinéma, le dernier roman de Karine Tuil nous introduit dans les arcanes du pouvoir : celui  dont on rêve, celui qu’on exerce, celui dont on se voit privé. Entre politique et cinéma, un roman qui se perd dans  l’abondance de ses sujets et sacrifie aux clichés de l’air du temps.

Karine Tuil
Francesca Mantovani © éditions Gallimard

« La politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens » : par son titre, le dernier roman de Karine Tuil constitue un clin d’oeil au renversement que Foucault a fait subir à la célèbre formule de Clausewitz. Guerre de pouvoir, guerre sociale, guerre des sexes, guerre des sentiments : entre Paris et Cannes, entre politique et cinéma, les ambitions se déchaînent pour certains tandis que d’autres luttent pour ne pas sombrer. Au centre de la narration, Dan Lehman, ex-président de la République –  » un juif de gauche » – qui vient d’être défait par la candidate d’extrême-droite. Divorcé de Marianne Bassani, un écrivain reconnu, mère de ses trois premiers enfants, il vit désormais avec une comédienne en vogue, Hilda Müller et leur petite fille sourde-muette, Anna. Il est surtout très seul : embourbé dans des affaires judiciaires, ne pouvant que constater le délitement de son second mariage et regrettant le couple qu’il formait avec Marianne, Lehman a sombré dans l’alcool et se consacre désormais à l’écriture. Face à lui, incarnant une autre forme de pouvoir, Romain Nizan, un réalisateur « social » aussi narcissique que brutal et par ailleurs l’amant d’Hilda. Jeux de pouvoir et de séduction, manoeuvres souterraines, le roman oscille entre tragédie et vaudeville au gré de nombreuses intrigues secondaires, nous livrant les portraits d’hommes touchants ou détestables, de femmes d’âges différents mais finalement unies malgré leurs divergences – voire leur rivalité – par un féminisme aux facettes multiples.

karine tuil la guerre par d'autres moyensLa guerre par d’autres moyens relève à la fois de ce que certains appelleront « le réalisme contemporain » et d’autres « l’air du temps ». Et le qualifier d' »efficace », c’est aussi bien lui en faire compliment que reproche. L’auteur possède indéniablement le talent de construire un récit, de nous embarquer dans une intrigue, de nous tenir en haleine. Elle maîtrise toutes les recettes qui ne manqueront pas d’assurer son succès : des sujets de société vendeurs – ce qui ne veut pas dire inintéressants – auxquels elle donne le piquant du roman à clé pour exciter la curiosité du lecteur, une palette de techniques narratives au service d’un récit choral. Rythmé par une succession de brefs chapitres, il est écrit tantôt à la première tantôt à la troisième personne, avec, dans les passages concernant Lehman, l’utilisation de différentes typographies. Tout cela fonctionne, certes, mais avec un arrière-goût d’artifice et d’afféterie. Peut-être Karine Tuil a-t-elle conscience que ce n’est pas par la seule qualité de son écriture que son roman pourrait tenir debout… Marquée par une certaine platitude et flirtant souvent avec les clichés, elle peine à conférer au texte une vraie dimension littéraire. Et la volonté de l’auteur de séduire en traitant de mille sujets brûlants, bref en « ratissant large », aboutit à un roman éparpillé et sans guère de consistance, trop visiblement fait pour plaire pour plaire vraiment.

Anne Randon

La guerre par d’autres moyens
Roman de Karine Tuil
Éditions Gallimard
384 pages – 22 €
Date de parution : 6 mars 2025

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