En revenant sur l’une des « grandes » grèves emblématiques des premiers mouvements sociaux du XXe siècle, celles des femmes qui « mettaient les sardines en boîte » à Douarnenez, Touitou et Lewko font œuvre de salut public, et nous rappellent l’importance de lutter contre un système qui cherche à nous broyer.

La grève des sardinières de Douarnenez en 1924 est l’un des premiers grands mouvements sociaux français, qui s’avéra un exemple pour toutes celles et tous ceux qui souffraient, dans la France industrielle du début du XXe siècle, de conditions d’exploitation tout à fait comparables à ce que vivent encore aujourd’hui des millions d’être humains dans les pays en voie de développement, en Inde, en Chine…
Traitées avec mépris par les patrons des usines de sardines, ignorées par les politiciens, ces femmes, trop longtemps dociles, soumises aussi à leurs maris marins-pêcheurs, ont fini par craquer : elles se sont mises en grève, de manière massive, et, soutenues seulement par le maire de Douarnenez (un « dangereux communiste »), elles ont mené un long combat pour être reconnues, pour gagner autre chose qu’une misère.
Oublié aujourd’hui, ce mouvement exemplaire est pourtant bien documenté, et il est facile de retrouver sur Internet toutes les informations sur les faits (réels) qui ont nourri la bande dessinée de Léah Touitou et Max Lewko, Le Chœur des sardinières. Faites-vous une faveur, n’allez pas à la recherche d’informations avant de terminer ce beau livre, ce passionnant récit de violences sociétales, de violences masculines, de violences politiques. Il est bien plus saisissant de découvrir ce que ces femmes ont vécu, ont enduré, et ce à quoi elles sont parvenues, sous la plume de Touitou et dans les dessins de Lewko… et puis, à la fin, vous verrez dans la postface combien ce livre est fidèle aux faits réels, qui, il est vrai, n’ont nul besoin d’être « romancés » pour être passionnants. Révoltants aussi.
La construction du scénario du Chœur des sardinières est, évidemment, resserrée sur les personnages d’une famille, trois générations de femmes qui évoluent de la crainte et la soumission au désir de changer le monde, en passant par le simple souhait d’une vie meilleure. Il s’agit là d’une technique « classique » aidant l’identification du lecteur, mais dont Touitou n’abuse pas, prenant toujours soin d’élargir son récit à la population entière des « sardinières ». Et, même si l’on regrettera que le dessin de Lewko ne permette pas toujours de reconnaître facilement toutes les protagonistes, on peut à l’inverse trouver que cette « uniformité » des silhouettes, des vêtements, des visages mêmes (usés par une vie tellement dure) est tout à fait cohérente avec la réalité des choses. Vous irez rechercher ensuite des photos de ces « évènements », et vous réaliserez combien, en effet, ces femmes se ressemblent toutes.
Elles ont toutes le visage des victimes du capitalisme brutal et de la misogynie toute-puissante.
Eric Debarnot
Le Chœur des sardinières
Scénario et storyboard : Léah Touitou
Dessin et couleurs : Max Lewko
144 pages – 20 €
Editeur : Steinkis
Date de publication : 16/01/2025
Le Chœur des sardinières – extrait :
