Bande sonore du « home movie » (en fait un « road movie ») réalisé par sa compagne Darryl Hannah, le dernier Neil Young, Coastal Soundtrack, est un nouveau « live » d’un géant qui ne se tait pas et délivre encore puissamment au niveau émotionnel.
Encore un nouveau Neil Young ? Pas de panique, Coastal Soundtrack est « simplement » un nouvel album live, enregistré lors de la « tournée solo » du Loner de 2023, le long de la côte ouest des USA (d’où le titre…). Mais pourquoi « Soundtrack » ? Eh bien tout simplement parce que Coastal est un film sur cette même tournée, réalisé par Daryl Hannah, la douce moitié de Neil. Le résultat est un disque aussi dépouillé qu’étonnamment varié, basé principalement sur des morceaux peu entendus en live, et dont la principale qualité est l’émotion qu’il dégage. Fera-t-il partie des grands « live » du Loner ? Le temps seul nous le dira…
Le disque commence fort avec une puissante version du rare I’m The Ocean, titre phare de l’album Mirror Ball réalisé en collaboration avec Pearl Jam : Neil Young ne fait pas son âge, c’est une évidence à l’écoute de ce titre.
Comes A Time, à l’inverse, est un classique à la fois inusable et un peu fatigué, qui trahit le vieillissement de la voix du Loner, sensible depuis une décennie environ. Le paradoxe – mais en est-ce un ? -, c’est que ces nouvelles limites dans le chant ajoutent bel et bien une couche d’émotion.
Love Earth, lui, n’est peut-être pas considéré chez nous comme un « classique », mais c’est un bonheur d’entendre qu’aux USA (enfin les USA pré-Trump de 2023), le public fournit des chœurs enthousiastes à cette petite chanson « écolo », qui devient un moment « feel good » inattendu.
Sur Prime of Life, Neil est – toujours en solo, mais – à la guitare électrique, et, évidemment, ça fait du bien : mais c’est surtout un plaisir rare de retrouver ce très beau titre oublié, extrait du sous-estimé Sleeps With Angels. L’un des bonheurs inattendus de Coastal Soundtrack.
Throw Your Hatred Down est un autre extrait de Mirror Ball, déjà inclus sur les setlists des concerts avec Promise of the Real. Du Neil Young classique, aussi bien dans sa forme que dans son message pacifiste mais terre-à-terre.
Grosses manifestations d’enthousiasme de la part du public pour un Vampire Blues électrique et chaotique comme il faut. La sourde menace qui pesait sur la version originale de On The Beach est moins tangible, mais quel immense titre ! Le funeste manifeste anti-pétroliers « I’m a vampire, baby, suckin’ blood from the earth / Well, I’m a vampire, baby, sell you twenty barrels worth » (Je suis un vampire, bébé, je suce le sang de la terre / Eh bien, je suis un vampire, bébé, je t’en vends vingt barils) résonne cruellement aujourd’hui face au « Drill, Baby, Drill » de l’agent orange.
Après la contestation, retour à l’amour avec un autre titre rare, extrait du sous-estimé Are You Passionate? : When I Hold You in My Arms est magnifique d’émotion retenue. Et ténue. L’interprétation ne semble pas « solo », puisqu’on y entend à la fois piano et guitare électrique, pendant près de sept minutes pas loin de la perfection. L’enchaînement sur une version précieuse de l’Expecting To Fly du Buffalo Springfield est d’une évidence imparable. Et prouve qu’à 78 ans (en 2023), Neil Young était toujours un maître quand il s’agit de nous toucher en plein cœur.
Grosse rupture de ton avec un retour vers Mirror Ball et sa fameuse intro, Song X, poignante mais noisy au possible (Remember « The Godfather of Grunge » ?) : « Hey ho, away we go / Along the road to never » (Hé ho, c’est parti / Sur la route vers « jamais »). Un titre qu’on aimerait voir interprété en version « hurricane » lors de la prochaine tournée européenne de Neil.
On n’avait pas forcément envie d’une autre interprétation de I Am A Child, qui a tout de la « vieille scie » désormais (pardon si nous vexons les fans les plus puristes) : stupéfaction totale, la version « près de l’os », murmurée, proposée ici, est d’une splendeur inconcevable. C’est la chanson d’un « old man » qui se remémore de son enfance : comment ne pas avoir la gorge serrée ?
Et le set se clôt, de manière joueuse mais surprenante sur une seule phrase : « Don’t Forget Love », le refrain de la chanson éponyme, que Neil ne jouera pas. « C’est là toute la chanson », nous dit-il. Et il a bien raison.
Coastal Soundtrack fera-t-il partie des grands « live » du Loner ? Après seulement quelques écoutes, on a envie de dire que « oui ». Définitivement « oui ».
Eric Debarnot