Dimanche soir, au Café de la Danse, Richard Thompson nous rappelait pourquoi, à 76 ans, il est une légende. Mais aussi pourquoi sa musique reste aussi importante.

En ce dimanche de Pâques, froid et pluvieux, qui voit la Capitale désertée de la majorité de ses habitants, nous accueillons, dans l’antre douillet du Café de la Danse, une légende. Oui, une vraie, légende : à 76 ans, Richard Thompson est un géant du Folk (ou plus exactement du Folk Rock) britannique, célébré depuis la fin des années 60, et ses débuts chez Fairport Convention, comme un songwriter, un chanteur et un guitariste d’exception. Et comme cela faisait 10 ans qu’il n’avait pas gratifié Paris de sa présence, le Café de la Danse sera finalement sold out ce soir, au point où l’on nous demandera de nous serrer sur les bancs où nous sommes assis (pas de fosse debout cette fois, malheureusement…) pour pouvoir accueillir les derniers arrivants, qui se pointent alors que le premier set a commencé depuis longtemps.
Car l’organisation de la soirée est un peu inhabituelle : démarrage très tôt, à 19h30, du premier de deux sets acoustiques, chacun composé de huit chansons, et tournant autour de 45 minutes, avant les rappels. Même si l’on aurait évidemment préféré voir Richard dans un format électrique / groupe, il n’y a aucune raison de cracher dans la soupe, surtout qu’elle sera délicieuse : soyons honnête, Thompson est l’un des rares artistes qui peut jouer une heure cinq minutes en acoustique sans qu’une seule seconde d’ennui ne vienne troubler notre plaisir.
Et, même si nous avions envie d’assister à une version live de son très animé et folklorique dernier disque – un album de chansons de marins, plus ou moins – Ship to Shore, nous avons dû vite reconnaître que la setlist composée d’extraits de ses albums couvrant toute sa carrière post-Fairport Convention, s’étalant donc sur plus de cinquante ans, était brillante : pas un titre faible, des anecdotes touchantes ou amusantes pour en introduire certains, une foule de mélodies immédiatement accrocheuses, et une formidable variété d’atmosphères, de styles. Du rock anglais sixties énergique (Valerie) à l’introspection tourmentée (If Love Whispers Your Name, évoquant tour à tour Springsteen ou Nick Cave – oui, il nous faut dégainer les grands noms !), en passant par, évidemment, la ritournelle irlandaise ode à la picole (Down Where The Drunkards Roll, gros succès public) ou par les expérimentations modernistes (The Rattle Within, qui clôt magnifiquement le premier rappel), Richard Thompson sait tout faire, et bien !
Evidemment, l’écouter revenir dans un mélange incertain de français bricolé et d’anglais élégant sur des souvenirs, avec ce juste mélange – tellement britannique – d’humour détaché et de sincérité, est un régal supplémentaire : les années contestataires de la fin des sixties avec Fairport Convention (Genesis Hall, sur une intervention policière brutale dans un squat, en 1969, déjà), sa découverte du rock au Marquee Club (The Who, The Yardbirds, Bill Evans Trio, The Spencer Davis Group, The Move… n’en jetez plus !) avant de devoir rentrer à pied – 14 kilomètres ! – chez lui dans le Nord de Londres une fois le dernier bus manqué (Walking The Long Miles Home), l’introspection forcée dans la solitude du confinement pendant la pandémie (If I Could Live My Life Again)…
Même s’il regrette de ne pas nous jouer une musique qui nous fasse danser, alors qu’on est au Café de la Danse, ce n’est pas vrai non plus : si nous n’étions pas forcés de rester assis par la configuration de la salle ce soir, il aurait été bien naturel d’aller tanguer, une bière à la main tenant lieu de bouteille de whisky, sur un Singapore Sadie, sauter en l’air sur le (faussement) extatique I Feel So Good, ou entamer un quadrille sur la country nostalgique de 1952 Vincent Black Lightning, célébrant une magnifique moto classique…
Nous n’avons pas mentionné, injustement, le renfort vocal parfait apporté sur le second set par Zara Phillips, qui est son épouse depuis 2021 : l’approche en duo des huit titres du set leur a apporté une profondeur et une richesse additionnelle, comme sur le bouleversant Withered and Died.
Et nous nous sommes quittés, ravis et émus, vers 22h35, sur son habituelle reprise du traditionnel She Moves Through The Fair, une belle histoire de fantômes, parfaite pour conclure ce voyage merveilleux à travers un demi-siècle de belle musique.
Richard nous a promis de revenir avant 10 ans cette fois, et nous espérons que ce sera en format électrique. Mais de toute manière, nous sommes preneurs !
Texte et photos : Eric Debarnot