Le dernier album de TH Da Freak, Negative Freaks, est tout sauf… négatif : il recycle avec esprit, élégance et créativité les gimmicks du grunge et du rock des nineties, en y injectant des mélodies farfelues, du psychédélisme tour à tour sombre et coloré, et même de l’émotion. Une nouvelle réussite de nos Bordelais préférés.

A la sortie de Negative Freaks, le dernier album de TH Da Freak, il y a un mois environ, on a pu assister à une scène assez amusante, si elle n’était pas dérisoire : un journaliste de Gonzaï, une « revue » connue et (parfois) appréciée pour son infinie méchanceté, souvent couplée d’une mauvais foi elle aussi illimitée, a fusillé les Bordelais de ce qu’il pensait être une condamnation définitive, assez proche finalement des anathèmes lancés quotidiennement par le POTUS – au moins dans la forme, parce qu’on est bien d’accord que les enjeux sont moindres : « ça sonne comme un vieux disque rayé de 1992« . Avant une conclusion qui se veut impitoyable (rires) : « …assez insignifiant. Un peu comme une branlette quoi. » Ce à quoi, la réponse de Thoineau Palis, témoignant de son habituel humour, fut un élégant : « Enfin quelqu’un dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas ! »
Même si ce n’est pas le genre de la maison de tacler la concurrence (?), la pauvreté de la critique interloquera quiconque aime l’énergie, la créativité de TH Da Freak, qui est depuis huit ans l’un des groupes de Rock les plus accomplis de l’hexagone… surtout si l’on écoute Negative Freaks plus d’une fois : bien mieux qu’une « branlette » à répétition, c’est là une source de plaisir et de joie comme on n’en a pas tant que ça. Parce que si, oui, la proposition du « groupe » (car Negative Freaks est un album collectif plutôt que de Thoineau en solo) est cette fois de célébrer sans honte la mémoire de Nirvana ou de Mudhoney, le jeu consiste à la féconder grâce à une inspiration pop et psyché littéralement débordante. Ce qui ne surprendra aucun fidèle de TH Da Freak, artisan mélodique inspiré par les meilleurs compositeurs de l’histoire de la pop classique.
Ce qui relève de l’évidence dès l’ouverture – parfaite – de WAS Mode, qui alterne couplets charmeurs et charmants et refrain « nirvanesque » en diable : oui, il s’agit bien de s’amuser en rappelant la vitalité du grunge circa 1990, mais aussi de le frotter à une fantaisie qui était bien étrangère au spleen de l’époque, de l’actualiser via une dynamique fluo et bariolée typique de 2025. Et c’est en particulier le goût actuel pour le psychédélisme ancestral qui se révèle terriblement efficace dans cette entreprise foutraque de mettre de la joie, mais aussi de l’émotion au milieu des attaques soniques des guitares, comme dans Kelso, par exemple.
Avec des photos « promos » pour la plupart prises la nuit dans un cimetière, TH da Freak marquent aussi leur révérence à un groupe aimé mais peu souvent cité, The Horrors, mélange insolent entre rock gothique et psychédélisme enfumé : difficile de ne pas voir dans certains titres de Negative Freaks le même goût pour des mélodies brumeuses inscrites dans de sombres rituels (… mais comme toujours avec Thoineau, avec ce soupçon d’humour et cette humilité dans l’approche qui change pas mal de choses). Et le mur du son obsédant de Don’t Leave The Town rappelle que, oui, en 2025, on peut faire du neuf avec de vieux ingrédients, n’en déplaise aux obsédés du passé.
I’m Still, le premier single paru de l’album, est d’une efficacité magnifique, assorti d’une revendication de joie de vivre qui fait énormément de bien en ces temps de morosité : « I’m still the motherfucker / I used to be« . Car il y a des choses qui ne changent pas, on peut toujours compter sur TH Da Freak pour vivre un excellent moment de… rock’n’roll ! Et il faut signaler que le disque a été enregistré « live » en studio, ce qui se sent, tant la fameuse énergie scénique qui a fait la réputation des Bordelais est ici régulièrement retranscrite (Rage Is Consuming Me, ou le percutant Snooby).
Il y a au centre de Negative Freaks un morceau frappant, Infinite Love, plus mesuré, plus complexe, plus ample, moins directement rentre dedans. Magnifique, tout simplement. Mais il faut aussi s’arrêter sur les deux minutes et cinq secondes de calme du disque, Shut It, qui, sur des claviers légers et des synthés facétieux, rappelle que Thoineau est également capable de nous poser une jolie comptine bancale et subtilement dérangée, à la manière d’un Syd Barrett du XXIème siècle. On espère qu’il s’en souviendra pour les prochains albums.
Bref, ce quinzième (ou quatorzième, les avis diffèrent…) album de TH Da Freak est une autre belle réussite, qu’on a, comme toujours évidemment, hâte d’apprécier sur scène. Et ça, on est nombreux à le penser tout bas et à le dire tout haut quand même !
Eric Debarnot
TH Da Freak – Negative Freaks
Label : Howlin’ Bananas – Modulor
Date de sortie : 21 mars 2025