Très attendu par les fidèles du groupe en manque de nouvelles compositions depuis de longues années, le nouvel album des Raveonettes, PE’AHI II apporte également un renouvellement de leur son, certes incomplet, mais bienvenu.
L’année dernière, à la sortie de leur sympathique mais relativement anodin disque de reprises, The Raveonettes Sing…, on avait appelé de nos vœux un véritable nouvel album du duo noisy pop / shoegaze danois (entendez un album composé de nouvelles compositions…). Huit ans après leur dernière production originale, nous y voilà, et nos attentes d’une évolution de leur musique est récompensée. Son titre, PE’AHI II, laissait attendre une suite à leur Pe’ahi, qui date déjà de onze ans, mais les choses ne sont pas aussi simple que ça : si, thématiquement, The Raveonettes nous offre ici des chansons qui poursuivent dans la veine sombre, introspective, de Pe’ahi, qui avait été écrit largement autour de la disparition du père de Sune Rose Wagner, son successeur marque des changements sonores notables.
Rappelons que « Pe’ahi » est le nom d’un célèbre lieu de surf sur l’île de Maui, à Hawaï : surnommé « Jaws » (les « dents de la mer », si l’on veut), il est réputé pour ses énormes vagues, extrêmement redoutables, même pour les meilleurs surfers. Sune Wagner avait expliqué dans un interview ce choix de titre, de nombreuses références à la culture du surf ayant été intégrées dans l’album, mais dans une atmosphère pesante, contrastant avec l’image habituelle, fun et ensoleillée du surf. Le concept était d’illustrer ainsi la musique du duo, mélange singulier de mélodies pop accueillantes et de noise distordu. PE’AHI II adopte la même démarche, mais en intégrant de nouvelles textures sonores, principalement électroniques, tantôt riches et complexes, tantôt frôlant le minimalisme. (On peut néanmoins s’interroger sur la pertinence d’une pochette intégrant un couteau à cran d’arrêt sur un fond rose : dualité, probablement, mais exprimée d’une manière décalée par rapport et au titre du disque, et aux textures sonores…).
D’un côté, les familiers du groupe retrouveront donc sans surprise l’esthétique habituelle de leurs disques, les mélodies sucrées au style immédiatement reconnaissables : en dépit des thèmes déclinés ici par Sharin Foo et Sun Wagner – la fragilité de la vie, l’inéluctabilité de la fin, les liens entre désir et mort, etc. -, plusieurs chansons bénéficient soit d’une immédiateté quasi-commerciale, soit au moins d’une accueillante lumière. A l’opposé du spectre, il y a des morceaux auxquels la rugosité et les sonorités électroniques agressives confèrent un sentiment de malaise, d’angoisse, voire d’hostilité. Mais plusieurs chansons réussissent à intégrer en leur structure les deux ambiance, et ce sont les plus étonnantes. L’expérience musicale offerte par PE’AHI II est donc à la fois familière et nouvelle, ce qui est indéniablement rafraîchissant pour un groupe que l’on pouvait quand même accuser de tourer un rond depuis un moment.
STRANGE est une belle ouverture qui sonne à la fois complètement familière, mais également complètement réinventée grâce à l’injection de l’électronique. La suite, BLACKEST, est certainement l’un des titres les plus énergiques, voire violents que The Raveonettes nous aient jamais offerts, avec des guitares particulièrement abrasives… et pourtant le morceau, contre toute attente, se délite dans une indéniable étrangeté. DISSONANT est, à notre goût, le titre le plus réussi de l’album, celui qui assemble le plus impeccablement les deux volets actuels de la musique du groupe, la tradition sixties et les envolées électroniques vaguement expérimentales.
KILLER est la chanson la plus scintillante, la plus pop, jusqu’à ce qu’elle s’interrompe elle aussi pour se transformer en une longue stase instrumentale qui semble sans fin et dilue irrémédiablement son impact bienfaisant. LUCIFER est une belle réussite, franchement dansante, à la lisière d’une technopop austère façon New Order, sans se départir d’une obscurité littéralement envahissante. SPEED est au contraire du Raveonettes « classique », parfaite pour ceux d’entre nous qui, à ce stade, ressentirait une vieille nostalgie du duo d’antan. SUNDAY SCHOOL poursuit dans le même registre, et pourrait être qualifiée de redondante tant elle n’est pas risquée, mais le plaisir est là. Le final avec ULRIKKE, alternance d’explosions électroniques bruitistes et de parenthèses vocales détachées a un seul défaut, celui d’être curieusement court, alors qu’il avait le potentiel d’être développé en une longue fresque abstraite qui aurait constitué une conclusion de poids, ambitieuse, à l’album…
Evidemment, le prix à payer devant cette dualité des compositions, est qu’on a parfois du mal à y trouver une véritable cohérence, d’autant plus sensible que l’album est court, dépassant à peine les 30 minutes. Il reste qu’il exprime une velléité de renouvellement réellement bienvenue. Il restera bien sûr à voir comment cette évolution formelle se traduit en live, pour comprendre s’il s’agit seulement d’un (heureux) accident dans la trajectoire des Raveonettes, ou au contraire d’une inflexion plus « contemporaine » apportée à leur Art, destinée à durer.
Dans tous les cas, ils ont toute notre attention.
Eric Debarnot
The Raveonettes – PE’AHI II
Label : Beat Dies Records
Date de sorte : 25 avril 2025