Le réalisateur belge Tim Mielants met en évidence les traitements inhumains infligés par les Catholiques sur ces « filles perdues » d’Irlande. Dommage qu’il finisse par verser dans le misérabilisme et le pathos.

En Irlande, certains parents, quand ils jugeaient leurs filles « légères » , les confiaient aux sœurs des couvents de la Madeleine qui les soumettaient à des traitements inhumains. Une pratique qui persiste en 1985. La découverte de ce scandale par William Furlong, un simple charbonnier, époux et père attentif, fait remonter en lui des traumatismes enfouis depuis l’enfance, lui rendant insupportable la loi du silence qui protège ces exactions.
En 2002, Peter Mullan portait à l’écran, dans The Magdalene Sisters, le scandale des traitements inhumains infligés jusque dans les années 1990 en Irlande aux « filles perdues » – enceintes ou soupçonnées de mœurs légères – reniées par leurs familles. Elles étaient alors enfermées dans les couvents de la Madeleine où, soumises à une discipline de fer, elles assuraient, en échange d’un gîte spartiate et d’un médiocre couvert, de pénibles travaux de blanchisserie. C’est à ces mêmes lieux que s’intéresse Tim Mielants dans Tu ne mentiras point – un titre curieux, venu se substituer au Small Things Like This du roman de Claire Keegan. Mais, plus que ce qui se passe à l’intérieur du couvent, c’est le poids de l’Eglise catholique sur la société irlandaise que le réalisateur veut mettre en évidence, à travers le regard de William Furlong, un simple charbonnier : hanté par la violence d’une scène vue à la dérobée qui lui fera revivre des épisodes marquants de son enfance, il s’efforcera de mettre fin à la loi du silence et d’accorder ses actes à ses sentiments.
Noël approche en cet hiver 1985 : et malgré le sapin illuminé, les guirlandes et les chants de circonstance, rien de très joyeux à New Ross, une bourgade grisâtre et lugubre du comté de Wexford. Pour nombre de ses habitants, l’existence n’est que misère et âpreté : parmi eux, cet enfant contraint de marcher des kilomètres à la recherche de petit bois, ou cet autre, transi et pieds nus dans la neige, qui, tel un animal affamé, lappe un bol de lait. C’est à New Ross que Bill Furlong, un petit entrepreneur en charbon, mène une vie modeste avec sa femme Eileen (Eileen Walsh) et leurs cinq filles. La caméra de Tim Mielants s’attache aux pas de cet homme pieux, travailleur acharné, apprécié de tous, mais dont le visage singulier, les silences, le regard un peu perdu, semblent cacher une souffrance secrète. Tel un puzzle, Tu ne mentiras point reconstruit peu à peu l’histoire de Billy, à partir de la scène dont il a été le témoin involontaire, devant la porte du couvent. Il montre comment, par le jeu des associations mémorielles que donnent à voir les nombreux flash-back, cette scène servira de révélateur à ses traumatismes d’enfance , suscitera son désir de faire éclater la vérité et, de tenter, par ses actions personnelles, de racheter la société de son péché d’indifférence.
La dénonciation des exactions de l’Église catholique et du silence complice qui les couvre sont au centre du film, à travers ce qu’il montre, suggère surtout, des violences subies par les pensionnaires des « Magdalene laundries ». Elle ne se fait pas, cependant, avec la rage, qui animait The Magdalene Sisters. Elle reste intériorisée, enfermée dans le regard égaré et le quasi-mutisme de Bill Furlong. C’est sur Cillian Murphy que repose l’intensité du film, sur son visage souvent filmé en gros plan, impénétrable et douloureux, comme absent. C’est lui qui donne au film son mystère, enfermé dans l’opacité de ses non-dits. Sa vie est partagée entre deux univers : son travail, harassant et peu gratifiant, et son foyer, un espace d’affection dans lequel il ne pénètre qu’après s’être délesté par un vigoureux lavage des mains des stigmates de son dur labeur. Un geste maintes fois répété, auquel on ne manquera pas d’accorder une valeur symbolique… Présenté d’emblée comme un homme bon, Bill s’avère être un époux attentionné, un père aimant, un patron généreux, qui n’hésite pas à manifester sa compassion face à la misère qu’il côtoie quotidiennement, en particulier celle des enfants. Et cette bonté ne fera que grandir au fur et à mesure que ses souvenirs viendront éclairer la cruelle réalité qu’il est le seul à accepter de voir.
Peu de lumière pour éclairer la noirceur de Tu ne mentiras point, sinon celle dont Bill Furlong, le charbonnier, est porteur. Un film aux clairs-obscurs étouffants, beau, sans doute dans le désespoir contenu qu’il met en scène, mais que j’ai fini par trouver lassant. Mon intérêt pour l’interprétation de Cillian Murphy qui m’avait fascinée au début a fléchi sur la durée et j’ai été déçue par le dernier quart du film qui verse à l’excès dans le misérabilisme et le pathos. Ce que j’ai préféré ce sont les scènes familiales, chargées d’émotions retenues, et le face à face – une véritable passe d’armes – entre Furlong et la Révérende Mère (Emily Watson) : extraordinairement révélatrice d’une Église imbue de son pouvoir, elle montre la capacité de Bill à ne jamais s’abaisser tout en faisant comprendre qu’il n’est dupe de rien. Tu ne mentiras point est une belle incitation à ouvrir, comme lui, les yeux sur ces « small things », l’expression dédaigneuse qu’employaient ceux qui, par commodité, intérêt ou conformisme, préféraient justement ne rien voir, se faisant ainsi complices – et ce jusqu’à une date récente – des crimes de religieuses aussi inhumaines, hélas, que toutes-puissantes.
Anne Randon