Aitor Arregi et Jon Garano racontent le parcours d’un mythomane qui détourna l’Histoire pour s’inventer la sienne. Un portrait édifiant pour tenter de comprendre les mécanismes de la manipulation chez Monsieur Tout-le-Monde.

La vie des mythomanes est toujours aussi fascinante et continue d’intéresser régulièrement l’univers de la fiction, pour tenter de comprendre comment des hommes et des femmes en arrivent à s’inventer une histoire faite de mensonges pour exister aux yeux des autres.
Après le livre la mythomane du Bataclan, sorti en 2021, puis adapté en mini-série (Une amie dévouée) en 2024, avec Laure Calamy dans le rôle de cette femme qui s’inventa une histoire autour du drame du Bataclan en 2015, cette fois, c’est du côté de l’Espagne, que l’on va découvrir l’histoire d’un homme nommé Enric Marco, un mythomane qui, pendant plusieurs décennies, va se faire passer pour un ancien déporté, allant racontant son histoire dans les lycées ou auprès des étudiants, tous fascinés par son récit. Celui d’un homme qui a été emprisonné en Allemagne, avant d’être déporté dans le camp de Flossenbürg.
Un Monsieur Tout-le-Monde charismatique et respecté au point de devenir le président de l’amicale des anciens déportés de Matheusen. Mais voilà qu’en 2005, un historien nommé Benito Bermejo découvre que Marco n’a jamais vécu ce qu’il raconte, et qu’en réalité, il a été envoyé en Allemagne comme travailleur volontaire par le gouvernement de Franco.
Révélée au grand public, l’imposture d’Enric Marco a fait l’effet dune bombe dans les médias. C’est à ce moment-là que les deux réalisateurs, Aitor Arregi et Jon Garano, décident de s’intéresser au personnage, après avoir hésité entre un documentaire et un docu-fiction. Finalement, ils optent la fiction pour raconter le parcours de cet homme qu’ils ont rencontré à de nombreuses reprises, afin d’étayer leur scénario, tout en étant conscients de l’esprit manipulateur du personnage.
Le film permet en tout cas de mieux comprendre la personnalité de ce Enric Marco qui a construit une partie de son existence sur un mensonge, s’investissant sans compter au sein de cette association pour la mémoire, capable de porter la parole des survivants, de faire prendre conscience à travers le pays que de nombreux Espagnols avaient été victimes des nazis.
Comme tout mythomane qui se respecte, la personnalité de Enric Marco est assez intéressante dans sa capacité à se construire une histoire, et à la raconter indéfiniment, à tel point qu’il semble au final y croire véritablement. Conscient que les preuves contre lui sont irréfutables, l’homme continue pourtant de s’accrocher à son mensonge, se faisant inviter dans de nombreuses émissions de télé pour crier à qui veut l’entendre qu’il n’a tué personne, qu’il n’est pas un criminel et qu’il s’est juste un peu arrangé avec l’Histoire. Il restera dans le déni jusqu’à son dernier souffle.
Pour incarner ce mythomane, l’acteur Eduard Fernández se fond parfaitement dans la peau du personnage, qui a consacré la moitié de sa vie à vouloir porter la parole de ceux que l’on a oubliés.
Sans être un grand film de cinéma, Marco, l’énigme d’une vie passionne parce que la manipulation révèle toujours quelque chose de fascinant et de profond chez les personnes qui en usent. Le film interroge aussi sur ses mécanismes, et comment l’émotion peut prendre parfois le pas sur la vérité, et combien le travail des historiens est plus que jamais nécessaire au temps des fake-news.
Benoit RICHARD