TVOD – Party Time : vive la fête ?

Nous vivons une époque intensément déprimante, et pourtant, tout le monde continue de faire semblant. Que la vie peut continuer, qu’on peut même en rire et faire la fête. Pas TVOD, un groupe new-yorkais qui assume son spleen accablant avec une élégance grisâtre qui les distingue de… tout le monde, justement.

TVOD by Kristin Sollecito-01
Photo : Kristin Sollecito

Entre la mort accélérée de la démocratie états-unienne, l’impuissance générale devant la situation ukrainienne, le constat non assumé d’un véritable génocide à Gaza, la perspective chaque jour plus tangible d’un asservissement à une IA incontrôlée et dérégulée, la multiplication des cataclysmes climatiques, il est difficile de trouver encore des raisons de se réjouir. Alors, faire la fête, à moins que ce ne soit complètement défoncé (ou bourré, suivant vos préférences), relève du défi ! Peut-on souscrire dans ces conditions au Party Time que semble vouloir annoncer le nouvel album – leur troisième depuis 2020 – des New Yorkais de TVOD (soit « overdose de télévision », évidemment !) ?… A moins que, au contraire, justement, il ne s’agisse de la constatation hébétée, épuisée, dépressive que le temps de la (vraie) fête est définitivement passé… et que, comme la pochette l’illustre clairement, même les démons de l’enfer ne peuvent faire la fête, eux aussi, que complètement bourrés ou défoncés.

Party Time« Throw me in the microwave / Wrap me up in cellophane / Civilizations crumbling / I put on my uniform » (Jette-moi au micro-ondes / Enveloppe-moi dans du cellophane / Les civilisations s’effondrent / Je mets mon uniforme) chante Tyler Wright dans Uniform, l’impressionnante ouverture de Party Time : il nous « rassure » tout de suite, il s’agit bien ici pour nous, au pire angoissés, au mieux indifférents, de contempler l’effondrement qui vient.

TVOD sont un sextette issu de la scène punk DIY de Brooklyn : ils se sont forgés une réputation « d’enfer » grâce à leurs prestations live survoltée, ce qui est toujours difficile à capturer sur un album studio : Party Time a donc été enregistré en live au Gamma Recording Studio de Montréal,  pour tenter de préserver cette fameuse énergie. Pourtant, ce qui frappe le plus, dès la première écoute, ce sont plutôt les grincements des synthés que la fureur des guitares, et la qualité des mélodies et des refrains à reprendre en chœur plutôt que l’efficacité des riffs. Et bien sûr, la bonne dose d’humour et de dérision rajoutée pour épicer cette « soupe à la grimace »…

Admettons-le d’emblée, pour ne pas le garder en travers de la gorge, il y a quelque chose de Fontaines DC dans cette musique, une légère influence « post-punk » (raaaaaah ! noooon !) et un chant indifférent, à la limite de l’autisme, comme celui du Grien Chatten des débuts. Mais il ne faut pas s’arrêter à ça, car musicalement, on peut aussi dénoter un héritage à demi-effacé par l’usure du temps des complaintes pré-suicidaires de Kurt Cobain. Ou bien un cousinage avec les intellos compliqués de Parquet Courts dans ce goût pour des mélodies évidentes venues du CBGB de la fin des années 70. Certains parlent aussi de Frank Black, mais c’est déjà moins clair, car de toute manière, les Pixies sans l’hystérie (car c’est fatigant, l’hystérie, non ?), ce n’est plus vraiment les Pixies. Personnellement, je préfère voir TVOD comme des héritiers inconscients du premier Television et de Richard Hell. Voilà, on a fait le tour des « influences », un exercice inévitable, mais assez vain.

Sur les onze titres qui composent les courtes trente-deux minutes de Party Time, il n’y a tout simplement rien à jeter. S’il fallait faire une sélection de nos chansons préférées, on parlerait d’abord de Car Wreck, seul morceau un long (on s’approche des cinq minutes), qui démontre que le groupe n’est pas qu’expert en « punk pop songs », mais peut construire des choses fortes, profondes, impressionnantes. C’est également un magnifique festival de guitare tantôt en fusion, tantôt abrasive, où TVOD se rapproche de gens comme Osees ou King Gizzard. Empty Boy est, quant à lui, particulièrement magnifique – et touchant – par la manière dont il organise, sur une très belle mélodie, une parade de désillusions et de souhaits impuissants. MUD est un punk rocker irrésistible, qui nous remet un peu en selle au milieu des épreuves émotionnelles que constituent la plupart des chansons du disque, même si le « message » n’est pas plus positif (« I’m just a piece of shit / But I don’t wanna die » – Je ne suis qu’une merde / Mais je ne veux pas crever) : on a hâte de délirer là dessus au milieu d’un moshpit hors de contrôle…

Mais à la fin, alors qu’il ne reste absolument rien à faire, on en revient à cette envie ridicule, abjecte presque, de danser « cul nu » sur les tables, défoncé ou ivre mort. Mais sans perdre de vue, jamais, jamais, que le danger est omniprésent. Les voisins veulent notre mort, pour nous piquer le peu de choses qu’on a encore (« I think I can hear the neighbors / Because I know they’re out to get me / You wanna know why? / They want my good shit« ). Heureusement, le refrain de Party Time est tout sauf excitant, joyeux, enthousiaste, ce qui risquerait de nous donner envie de vomir encore une fois. Une dernière fois.

Vous voilà prévenus : Party Time est un album terriblement déprimant. Extrémiste même tellement il est déprimant. Et c’est parfait comme ça. Car qui a vraiment envie de danser en 2025 ?

Eric Debarnot

TVOD – Party Time
Label : Mothland
Date de sortie : 9 mai 2025

 

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