« Greffier » de Joann Sfar : rappeler les principes de la liberté de caricaturer…

Seconde réédition d’un « carnet de Sfar » essentiel, Greffier, qui contient le contenu détaillé des débats durant le procès intenté contre Charlie Hebdo par des organisations musulmanes : près de 20 ans plus tard, la parole des avocats de la liberté d’expression reste précieuse. Et nécessaire…

Greffier Image
© 2025 Delcourt / Sfar

Tout commence en septembre 2005, lorsque le quotidien danois Jyllands-Posten publie douze caricatures du prophète Mahomet, déclenchant une crise diplomatique et une vague d’indignation dans le monde musulman, avec des manifestations parfois violentes. En février 2006, en signe de solidarité, Charlie Hebdo republie les caricatures dans un numéro orné en couverture d’un dessin original de Cabu représentant Mahomet en pleurs, disant : « C’est dur d’être aimé par des cons. » Deux organisations musulmanes en France — la Grande Mosquée de Paris et l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) — portent plainte contre Charlie Hebdo pour « injure publique à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur religion ».

Greffier couvertureLe procès se tient en février 2007, à Paris et devient un événement politique majeur, illustrant le débat national sur la liberté d’expression, la laïcité et les limites de la satire. Joann Sfar assiste aux audiences, prend des notes et dessine, bref, réplique le travail de la greffière du tribunal, en lui appliquant évidemment sa subjectivité (rappelons que Sfar, fils d’avocat à Nice, a été confronté dès sa jeunesse aux joutes verbales entre accusation et défense…). Il en tirera un carnet, Greffier (jeu de mot malin avec l’appellation du chat en argot, logique quand on se souvient de l’importance de cet animal dans la vie de l’auteur…), qui retranscrit donc les échanges et les plaidoiries, ainsi que les réactions et les réflexions des uns et des autres (y compris celles de Sfar lui-même, souvent empreintes de ce famaux humour qu’on adore chez lui…). Le verdict tombe en mars : Charlie Hebdo est relaxé, le tribunal estimant que les caricatures visaient des extrémistes religieux et non l’ensemble des musulmans, et qu’elles s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général.

Greffier, où le procès de Charlie Hebdo est complété par une compilation des différentes chroniques créées par Sfar à l’époque où il dessinait pour le journal (en 2004/2005…), est réédité une première fois en janvier 2015, en réaction au terrible attentat terroriste contre l’équipe de Charlie. Cette nouvelle édition est donc la troisième, et si elle n’est justifiée heureusement par aucune nouvelle tragédie, elle apporte le point de vue salutaire de la presse libre et responsable et des véritables défenseurs de la laïcité, à un moment de la vie politique française où la question de « l’islamophobie » est instrumentalisée par les extrêmes politiques.

Comme toujours dans les carnets de Sfar, le style graphique est spontané, très vivant, mêlant croquis plus ou moins bien exécutés dans la frénésie du moment, dialogues saisis à la volée, et réflexions tantôt profondes et tantôt humoristiques : les meilleures de ces « divagations » échappant au principe de la seule retranscription des faits, les meilleures, sont celles qui sont à la fois drôles et philosophiques. Sfar capture l’atmosphère du procès – au prix d’efforts physiques intenses, vu la quantité d’informations a traiter, ainsi que ses « limitations » techniques (« je n’arrive pas à dessiner les visages de hommes politiques ! » soupire-t-il…).

Finalement, le seul vrai défaut de Greffier réside dans l’ajout de ses autres planches réalisées pour Charlie Hebdo : il faut bien admettre qu’une bonne partie est assez peu stimulante, comme ces longues digressions sur la philosophie grecque, qui pour une fois, nous tombent des mains. mais, soyons honnêtes, même si ces planches avaient été excellentes, elles auraient eu du mal à avoir la moindre cohérence avec le sujet principal du livre. On suggérera donc que la prochaine réédition soit nettoyée de ces « ajouts » qui intéresseront avant tout les fans complétistes de Sfar, afin de réduire et la taille (et le prix…) d’un document réellement important historiquement, susceptible d’alimenter la réflexion, indispensable à notre époque, sur la séparation entre la religion et l’état, et la compatibilité entre la montée de la foi et les principes de la laïcité.

Eric Debarnot

Greffier (réédition)
Texte et dessins : Joann Sfar
Editeur : Delcourt – Collection : Shampooing

240 pages – 22,50 €
Date de publication : 2 janvier 2025

Greffier – extrait :

Greffier Extrait
© 2025 Delcourt / Sfar

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