[Live Review] Bruce Springsteen and the E Street Band au Stade Pierre Mauroy (Lille) : plus indispensable que jamais…

En plein milieu de la passe d’armes qui l’oppose à Donald Trump, le Boss et son groupe démarraient à Lille la partie française de leur tournée. Au milieu de tous les tubes et morceaux de bravoure attendus, il persiste et signe : il faut combattre.

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Bruce Springsteen au Stade Pierre Mauroy – Photo : Pascal Anthiaume

L’histoire ne pouvait pas s’arrêter comme cela.

Quand il est question de légendes du rock dont la longévité s’étale sur cinq décennies, tout fan a des évènements de sa vie personnelle liés avec des étapes de la carrière de son idole. En ce qui me concerne, et sans les récapituler toutes, rassurez-vous, on mentionnera la découverte du vinyle de The River chez mon oncle, qui venait de l’acheter à la Fnac au moment où Hungry Heart passait sur toutes les ondes, l’achat de la cassette de Born in the USA à Camden lors mon premier voyage tout seul à l’étranger, ou la défense de très mauvaise foi de Human Touch auprès des potes (oui les gars j’avoue, j’ai abusé c’est une bouse celui-là, Loving You Is a Man’s Job, ouch ! Même à l’époque, c’était gênant). L’un de ces artistes en gros qui font se déplacer en Europe pour le voir, rien que cela. Quelques doutes sont apparus en 2023 lors du premier leg de la tournée actuelle : prix des places hallucinant avec cynisme assumé, set list quasi similaire tous les soirs, alors que nous nous sentions obligés auparavant de faire les deux dates de Bercy pour découvrir les nombreuses variations, il y avait de quoi douter, et ce malgré la très bonne tenue de Letter to You, le dernier opus en date. L’atmosphère de cette tournée avait quelque chose de crépusculaire et testamentaire, finissant invariablement par un I’ll See You In My Dreams bouleversant : le set comprenait de nombreuses allusions aux membres du E Street Band disparus (Clarence Clemens bien sûr, Dany Federici également) ou à son premier groupe dont il était le seul survivant (Last Man Standing). Je ne voulais pas entendre toutes ces allusions à la finitude d’une idole m’accompagnant depuis 45 ans, et pour ne plus les entendre, j’ai progressivement arrêté de l’écouter pour préparer le sevrage.

Mais bien entendu, il était hors de question de ne pas aller ce samedi soir à Lille, même en se demandant s’il y avait autre chose que de la nostalgie dans le geste, et si voir le Boss en 2025 était toujours indispensable. Les événements récents ont malheureusement remis Springsteen dans l’actualité, en défenseur de la liberté de pensée et de « Son Amérique ». La setlist s’est transformée du fait du nécessaire combat et, symboliquement, le Chimes of Freedom de Dylan a conclu les concerts de Manchester. Je m’apprêtais donc à aller voir ce Boss en colère, plus pertinent et indispensable que jamais.

Un mot sur les conditions d’accès au concert. Lille s’est fait la spécialité depuis quelques semaines d’avoir des pannes de métro aux pires moments. Après une panne gigantesque le week-end précédent, la pression était forte en ce jour de Pride et de concert à Villeneuve d’Ascq. Ça n’a pas loupé, et votre rédacteur a failli ne pas voir le concert. Un trajet de 2h30 au lieu de 40 mn, un stationnement dans un métro bondé arrêté plus de 30 mn, des bus de remplacement et une arrivée en nage à 19h25 pour un concert prévu à 19h30, j’ai senti le moment où je n’allais avoir pas grand-chose à raconter… Mais, au moins, cela a permis de faire connaissance avec des fans venus de tous les pays, généralement étrangers et âgés, avec certains venant de Manchester pour repartir à Marseille en fin de semaine, après avoir fait les deux concerts lillois. Des vrais. Mais pas autant que sont qui ont campé plus de 5 jours devant la salle pour être surs de pouvoir être au premier rang de la fosse or. Ceux-là au moins n’ont pas eu de problème de métro, ça m’apprendra ! Tout ça pour dire que la salle est clairsemée à 19h30, certains fans ayant décidé finalement d’y aller à pied et d’arriver en retard….

Il est gentil le Boss il attend un peu et arrive sur scène à… 19h35.

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La scène est comme d’habitude d’une simplicité totale. Max Weinberg qui trône avec sa batterie et le E Street Band au grand complet, une scène à 360° ouverte pour que les spectateurs placés derrière puissent en profiter un peu (C’est pratique pour rempli plus aussi…). Bruce s’avance sous les acclamations, et c’est parti pour le speech anti Trump, avec traduction en Français sur les écrans, un procédé qui sera utilisé pour tous les morceaux militants de la soirée. On comprend là que le fameux discours de Manchester qui a tant fait parler était plus que préparé. C’est exactement le même qui nous est livré ce soir. Springsteen persiste et signe, hors de question de la fermer comme le réclame le psychopathe. Un EP a même été mis en ligne, regroupant ses discours anti Trump des concerts de la tournée et les titres emblématiques de la lutte.

De fait, le début du concert est marqué par trois titres politiques, No Surrender pour démarrer, puis Land of Hope and Dreams, et enfin Death to my Hometown. Le son est excellent pour une salle de cette taille, le E Steet Band a une puissance incroyance, et Max Weinberg commence son festival habituel. La voix du Boss n’est par contre pas au top, il va lutter sur certains titres, avalant certaines paroles et étant à la limite de la fausseté. Des concerts ont été annulés l’année dernière pour extinction de voix, nous savons le sujet sensible, et Springsteen a 75 ans. Le temps de se chauffer, cela va aller en s’améliorant progressivement. On comprend que le groupe ne joue que tous les 3 jours pour notamment préserver les cordes vocales du patron.

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Après un Lonesome Day très carré, tout en cuivres et choristes, Seeds montre le premier signe du renouvellement de la setlist. Ce morceau, qui date des séances de Born in the USA et qui a été immortalisé par le coffret Live 75-85, n’avait plus été interprété depuis 2016, lorsque le groupe l’a ressorti du chapeau lors d’un concert à Uncasville en avril. Springsteen y livre un solo rageur.

Ce soir, aucun des titres qui, enchainés, plombaient la tournée 2023 (Kitty’s Back, Nightshift, E Street Shuffle et surtout le très long Pay me my Money Down) ! Par contre Rainmaker, extrait de Letter to You, n’avait pas souvent eu les honneurs de la tournée 2023 : il est devenu indispensable. Après une nouvelle allusion à Trump et à la démagogie du personnage, les paroles de ce titre résonnent dans le Grand Stade : « Sometimes folks need to bеlieve in something so bad, so bad, so bad / They’ll hire a rainmaker / Rainmaker says white’s black and black’s white / Says night’s day and day’s night / Says close your eyes and go to sleep now / I’m in a burnin’ field unloadin’ buckshot into low clouds » (Parfois, les gens ont tellement, tellement, tellement besoin de croire en quelque chose qu’ils embauchent un faiseur de pluie / Le faiseur de pluie dit que le blanc est noir et le noir est blanc / Dit que la nuit est le jour et que le jour est la nuit / Dit : « ferme les yeux et va dormir maintenant / Je suis dans un champ en feu en train de tirer à la chevrotine sur les nuages ​​bas…).

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The Promised Land mettra tout le monde d’accord. Springsteen lutte vocalement, mais le E Street Band tient la baraque. L’enchaînement entre l’intervention de Roy Bittan, le solo de Steve Van Zandt, puis Jake Clemens avant que l’harmonica ne résonne à nouveau donne la chair de poule. L’Arena chante sur Hungry Heart, et puis c’est LE moment, MON moment. Rien à faire, cet harmonica d’ouverture de The River me fait toujours autant pleurer, la salle qui reprend « like your daddy done » à plein poumons… et tant pis s’il l’a déjà bien mieux chantée. Je commence à chavirer.

On fait maintenant un peu de bruit avec Youngstown et Murder Incorporated. Sur le premier, Nils Lofgren fait étalage de sa classe avec un solo ravageur. Ouvrons un peu ce sujet : pourquoi ce génie de la guitare est aussi peu employé dans le groupe ? On le retrouvera en majesté sur Because the Night un peu plus tard, mais c’est un mystère. Ce type est suffisamment bon pour être en même temps membre du E Street Band et du Crazy Horse de Neil Young, a sorti sous on noms des albums remarquables et… oui… On aimerait l’entendre plus souvent. Murder Incorporated décontenance le public autour de moi qui ne la connait pas trop, c’est fort, bruyant, la guitare du Boss résonne de partout, et Roy Bittan se voit allouer le temps de montrer qu’il est excellent. Ne parlons pas encore une fois de Max Weinberg, on l’a déjà fait, il est fabuleux en permanence. La tension redescend un peu sur Long Walk Home avant la dernière tirade anti Trump, précédant House of a Thousand Guitars et My City of Ruins. Sprinsgteen énumère les atteintes à la liberté d’expression, la guerre menée contre les universités, ponctuant chaque ignominie d’un « This is happening NOW ! » et faisant chanter la foule en brandissant le poing au son des « Come on rise up ».

La suite ne sera que tubes, souvenirs, et Stade en liesse, retrouvant à ce moment la setlist du dernier tiers de la tournée précédente. Je ne vais pas m’en plaindre, il ne manquera que Jungleland, Racing in the Streets, et Downbound Train (mais pour ce dernier, j’en ai fait mon deuil depuis longtemps) comme titres phares de mon panthéon personnel pour me combler totalement.

Springsteen Lille Pascal Anthiaume 05Because the Night, par contre, ne sera pas oublié, avant Wrecking Ball et son joli violon, The Rising, Badlands et Thunder Road précédant le rappel. Tout a été dit sur ces deux derniers titres qui font partie de la légende, Pierre Mauroy s’époumonne sur « We ain’t that young anymoooore ». Et pour le coup, ca commence à être vrai en plus !

Le rappel fait classiquement appel aux titres monstres : pour commencer un petit enchainement des familles Born in the USA/ Born to Run qui fait se lever tout le monde. Les portables qui avaient été relativement discrets sont de sortie, ça chante de partout. On a beau avoir assisté à cette scène quelques fois, cette communion totale dans la salle fait toujours son petit effet ! Glory Days avait été jouée à Manchester, la bonne surprise est de la voir remplacée par un parfait Bobby Jean ce soir. L’osmose du groupe est incroyable sur Dancing in the Dark, évidemment acclamée par un public radieux qui multiplie les selfies.

10th Avenue Freeze-Out est devenue depuis quelques décennies un indispensable de la set list. Pas le morceau sur lequel on aurait misé au moment de la sortie de Born to Run. Jouer ce titre et oublier Jungleland peut sembler incongru. Musicalement surement. Mais pour le groupe, ce titre est emblématique, le symbole du E Street Band, de son identité, de sa genèse et de ce qu’il est devenu. L’occasion de rendre hommage à la mémoire de Dany Federici et surtout de Clarence Clemens, pour que le Big Guy reçoive son ovation habituelle au moment où les écrans le montrent dans toute sa splendeur.

Et donc, pour finir, Dylan, histoire de marquer le coup pour ce dernier morceau du soir : « Tolling for the rebel, tolling for the rake / Tolling for the luckless, they abandoned and forsaked / Tolling for the outcast, burning constantly at stake / And we gazed upon the chimes of freedom flashing » (Sonnant pour les rebelles, sonnant pour les débauchés / Sonnant pour les malheureux, les abandonnés et les délaissés / Sonnant pour les parias, constamment brûlés sur le bûcher /
Et nous avons contemplé les carillons de la liberté qui brillaient). Prends ça, MAGA !

Un Springsteen toujours aussi indispensable a ce soir réaffirmé quels étaient les enjeux et les dangers de la situation politique aux USA comme ailleurs. Je sors de la salle gonflé à bloc, avec les carillons de la liberté qui résonnent encore dans ma tête, pleurant de ne pouvoir vraiment pas revenir mardi, et confiant dans la puissance de cette force collective et de son pouvoir pour vaincre les dangers qui nous guettent.

Ça, c’était avant la sortie et la découverte que le retour de 65.000 personnes va se faire avec… des bus… dans lesquels il va falloir se battre pour monter, chacun pour soi…

Une soirée qui restera gravée dans les mémoires en tout cas.

Texte : Laurent Fegly
Photos : Pascal Anthiaume (merci à lui !)

7 thoughts on “[Live Review] Bruce Springsteen and the E Street Band au Stade Pierre Mauroy (Lille) : plus indispensable que jamais…

  1. Merci pour ton texte, Laurent. J’en ai ressenti chaque mot et adhéré à chacune de tes impressions. (Idem pour ton mea-culpa sur « Human Touch ») C’est bon de se découvrir (comme à chaque fois qu’on croise un Springsteenien) des frangins de Rock ‘n Roll Keep the faith, Laurent ! Et Long Live Bruuuuuuuuuce !

    1. Merci de m’avoir fait retrouver par vos mots ce que j’ai eu le privilège de vivre samedi soir. Je m’y suis revu avec cette petite émotion au coin de l’œil à l’approche de « THE RIVER » une seconde fois en deux jours et à jamais…

  2. Dans « The River », la phrase citée est « like your daddy done » (pas « home ». Au sens de « on te dit de faire comme ton père a fait (avant toi) ». C’est LA chanson que j’attendais.

  3. Joli texte, mais les paroles de The river (qu’on a chantées) sont: like your daddy done, et non pas like your daddy home.

  4. bonjour, bravo pour le résumé, j’y étais comme a la défense Arena, concert sur lequel je vous trouve sévère, en deux ans, il a pris cher le Boss, a chaque descente d’escalier, j’ai eu peur .. j’y retourne ce soir sûrement pour la dernière fois, 45 ans d’amour, 40 de concert… la Vie la votre la mienne, … the Best for ever…
    ps, honte aux métros Lillois, quelle image donnée aux étrangers, la sortie du Stade 30 k personnes en bus, honteux….vt

  5. Très joli article – merci! Présente à Lille en ayant traversé la France ( et la ville à pied, ça je ne l’avais pas vu venir ) avec mon fils de 17 ans et je suis galvanisée et si heureuse ! Comme vous pour les quelques faussetés, mais je pense que le retour son était peut-être un peu compliqué… Mêmes larmes sur The river bien sûr ( c’est le choc du soir pour mon fils, voir le stade aussi frappé d’émotion en même temps!) et un Long Walk Home qui m’a remplie de bonheur.
    Je serai à Marseille samedi et j’ai hâte!!!

  6. Nice to read an in depth and quite knowledgeable review in French for a change!
    However, Seeds was played in Nijmegen, Pays Bas in June last year… I know, I was there. Together with Light is Day and especially If I Was The Priest it made the best concert of the 8 I went to the last 2 years (I was the first in line to be send away in Marseille last year…)

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