En dépit d’un propos en partie caricatural, Chime vaut le détour parce qu’il permet trois quarts d’heure durant de retrouver un Kiyoshi Kurosawa grand metteur en son de cinéma d’horreur.

Durant la seconde moitié des années 1990, la cinéphilie française commence juste à découvrir Kitano. Son Sonatine a été distribué en France en 1995, Kids Return et le chef d’œuvre Hana Bi sortent deux ans plus tard, tandis que sa filmographie pré-Sonatine est distribuée entre 1998 et 2001. Un autre cinéaste nippon va alors commencer à se faire un nom en France. Ou plutôt un prénom. Kiyoshi Kurosawa. Rien à voir bien sûr avec Akira le génie de l’ère classique du cinéma japonais, le nom qu’ils partagent étant l’équivalent pour le Japon de Dupont ou Bernard. Quadragénaire à ce moment-là, Kiyoshi Kurosawa a été assistant-réalisateur et a tourné pour la vidéo, la télévision et le cinéma. Il a œuvré dans le cinéma pornographique soft et dans le cinéma de genre. A l’image de ses héros de la Série B américaine (Don Siegel, John Carpenter…), il a construit une approche personnelle du cinéma dans un cadre d’économie de moyens.
Son thriller Cure est montré au Festival d’automne en 1997. Il sort en France en 1999, année où le cinéaste est présent dans les sections parallèles des trois grands festivals (notamment avec un License to live drôle à l’échelle du cinéaste). Ce thriller à l’ambition métaphysique contredit les règles du genre. Les cadrages semblent enfermer les personnages autant que des décors de désolation. Surtout, Kiyoshi Kurosawa impose un travail sur le son évoquant le somnambulisme, l’hypnose. Comme pour certains guitaristes, on peut dire que le cinéma de Kiyoshi Kurosawa a un son reconnaissable entre mille.
Son regard sur le Japon contemporain est aux antipodes de celui d’un Kitano plus âgé que lui : là où, aux yeux de ce dernier, le Japon actuel souffre d’un excès d’individualisme, Kurosawa voit lui l’individu nippon comme écrasé par les contraintes collectives de sa société. En 2001, le cinéaste réussit à dépasser en partie sa tendance à faire des personnages des pantins de son propos avec Kaïro. Son style atteint sa plénitude dans cette réussite majeure de la vague de films d’horreur engendrée par le succès de Ring.
La suite de carrière ne retrouvera pas l’inspiration de ses meilleurs films de la période 1997-2001, en dépit de réussites ponctuelles, comme Tokyo Sonata, film rachetant sa surenchère de malheur par un plan final sublime. Ou la série Shokuzai, distribuée en France sous forme de deux films. Les temps où il tournait beaucoup semblent derrière lui. Mais, comme professeur d’un équivalent nippon de la FEMIS; il a pu mentorer Ryusuke Hamaguchi.
En 2024, il a réalisé trois films, comme l’année de sa révélation française : un court (Chime montré à Berlin) et deux longs (Cloud montré à Venise, un remake franco-japonais de son Serpent’s Path de 1998). Trois films distribués en France cette année.
Dans Chime, Tashiro (Seiichi Kohinata) étudie dans une école de cuisine. Il dit entendre un carillon (« chime ») que personne d’autre n’entend. Son professeur Matsuoka (Mutsuo Yoshioka) tente alors de l’aider. Renouant avec la veine fantastique ayant fait la réputation du cinéaste, le film est à la fois un retour en forme de Kiyoshi Kurosawa metteur en scène/metteur en son et un film qui compense un propos en partie débattable par son style.
Le travail sur le son crée du suspense à plein tubes, des ruptures sonores reflètent l’état émotionnel des personnages, l’étrangeté peut émerger du bruit d’une canette de bière. Et le cinéaste travaille superbement le hors champ, le cadre et la focale. Le récit horrifique offre des scènes de shomingeki réussies. Ou ce brillant long plan séquence panoramique le long d’un pont interminable pour montrer l’effort déployé pour planquer un cadavre.
Mais ici la seule échappatoire à l’aliénation du monde contemporain serait une violence psychopathe… ou une forme de repli de l’individu sur son moi intérieur. On n’est certes pas tout à fait dans le propos simpliste de certains films d’auteur de grands festivals. Mais on a le droit de contester le fait que le cinéaste ne propose que ces deux alternatives.
Chime a une part de plomb dans son écriture. Mais, comme souvent avec le cinéaste, cette part de plomb passe un peu mieux lorsqu’il aborde le genre horrifique en pleine possession de ses moyens visuels et sonores.
Ordell Robbie.