Pulp – More : La fin d’une très longue éclipse

En 2025, a-t-on besoin de Pulp, 24 ans après son dernier enregistrement studio ? La réponse est OUI ! Avec More, le groupe réjouit et transforme brillamment l’essai de Spike Island, le single fracassant ayant annoncé son retour. Welcome back !

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© Tom Jackson

Pulp est de retour ! A moins d’habiter sur Mars, difficile d’être passé à côté de l’information, tant le groupe sature les média comme prévu, depuis fin mai, en vue de ce 6 juin marquant le retour tant attendu du groupe de Sheffield. Dans Mojo, les Inrocks, Rock’n’Folk, sur France Inter, BBC 2, 3, 6… C’est bien simple : Jarvis et ses acolytes sont partout, et même dans Benzine ! Un retour qui se veut plus durable, et créatif, que celui des tournées de reformation précédentes, ponctuées de concerts extatiques, avec Common People festif sur fond de feu d’artifices régulier en bouquet final — comme les albums solo de leur frontman égrénés au long des années, c’était, certes, super, mais un peu court.

Plup - More

Alors, pour ce « vrai » retour, comme on est magnanimes ici, on va vous faire un résumé de la situation, assez simple, puisque Jarvis Cocker, qu’on adore, répète la même chose partout dans un plan média plus que huilé, avec deux messages principaux :

1. ce nouvel album, le premier depuis 24 ans (We love life) a été influencé par la mort de Steve Mackey, son bassiste historique, en 2023, et lui a fait prendre conscience que le temps était compté et que si on avait quelque chose de créatif à exprimer sur cette Terre, il valait mieux le faire vite ; c’est en ce sens qu’il a réuni, en 2023, les membres historiques subsistant du groupe, Nick Banks (batterie) and Candida Doyle (claviers) et Mark Webber (guitare).

2. Par ailleurs le processus créatif pour cet album a été très différent et efficace, le groupe passant juste 3 semaines en studio fin 2024 près de Londres avec le producteur James Ford, les paroles ayant notamment été finalisées par Jarvis avant l’entrée en studio – bref Pulp vieillit et a de l’expérience.

C’est d’ailleurs tout l’enjeu : comment vieillir sans passer pour un vieux schnock, sans être un de ces groupes qui se réunit juste pour l’argent et qui n’a plus aucune fièvre créatrice ? A 61 ans, on sent que la question taraude le chanteur et ses acolytes, qui ne sont plus tout frais mais pas encore vraiment périmés.

A cette question métaphysique, Pulp a répondu de la meilleure des manières, celle, indiscutable déjà utilisée par Cure en octobre dernier : avec un single imparable. Spike Island sondant les réminiscences d’un festival sensé être le marqueur doré d’une époque, et qui a surtout été le théâtre d’une prestation ratée des Stone Roses, est arrivé dans nos vies il y a deux mois avec fracas. Tout, ici, fait Pulp, de la mélodie inclassable, déconstruite et pourtant mélodique au couplet imparable jusqu’enfin au refrain, encore plus imparable, porté par un Jarvis des grands jours. Classique immédiat. Baffe universelle. Pulp est de retour, comme Cure était de retour avec Alone. Impossible de ne pas savoir. Impossible de ne pas vouloir connaître la suite, même si l’on se doute que l’on ne peut qu’être déçu après cette réinvention-modèle de Pulp : indubitablement toujours du Pulp, mais plus du tout le Pulp grande époque, celui du doublé magistral et complémentaire Different ClassThis is Hardcore, le succès puis la gueule de bois. Ici, on est autre part, dans un territoire de 25 ans après la gueule de bois, où l’on essaye de se souvenir du passé, éloigné par le temps et la mémoire, pas juste l’alcool, en le réécrivant un peu, mais le moins possible avec de l’IA, et le plus possible avec de l’humain – avec Jarvis, comme en témoigne le clip incisif de Spike Island.

Cette idée ne nous quitte pas tout au long de l’écoute de More, alors que les mélodies défilent, maniant le chaud et le froid, les envolées pop et les baisses volontaires de tensions pour mieux repartir, le disco et la soul froide, les vocalises dans différents registres de Jarvis (qui a rarement aussi bien chanté), du violon saupoudré un peu partout avec quelques chœurs féminins de-ci, de-là, du sucre et de l’âcre, bref toujours les mêmes ingrédients à succès, mais mélangés différemment .

Ainsi, Tina, chanson « de fantasme » ainsi que Cocker l’a présentée récemment dans un concert pour la BBC, réhaussée par ses chœurs féminins, Grown Ups, à la mélodie simple et efficace, où le chanteur avoue « To act just like a grown up / It’s so so hard / We’re hoping that we don’t get shown up / But everybody’s got to grow old / Everybody, are you sure ? » (Agir comme un adulte / C’est si difficile / Nous espérons que nous ne nous ferons pas remarquer / Mais tout le monde doit grandir / Tout le monde ? / Tu es sûr ?) dans un jeu à deux personnes dont il a le secret (cf. Common People) ; Slow Jam, sorte de dub atrophié où Jarvis fait encore une fois référence à Jésus Christ (dont il a les mêmes initiales), qui aurait pu postuler pour être un single malade. Le genre de chanson que l’on chérit, sans trop savoir pourquoi, plus que certains singles, soit pour leurs textes aux recoins secrets, soit pour leur mélodie malade, soit parfois les deux, comme Underwear ou F.E.E.L.I.N.G.C.A.L.L.E.D.L.O.VE.

Autres sommets : My Sex, autre grande chanson entièrement viciée, disco malade avec voix de crooner d’outre-tombe, avec ses violons et chœurs pour l’adoucir ; Got to have love, deuxième single, dansant, du Pulp disco et à gros riff, presque à l’ancienne, et trop premier degré avec son refrain martelé (« You’ve got to have love ! ») ; la grandiose Background Noise et sa montée en puissance très Different class, et Partial Eclipse, touchante avec Jarvis quasi a cappella, et dont on se demande s’il parle de lui-même ou du groupe, avant un emballage par des arrangements de cordes complexes qui rappellent The Divine Comedy, une impression peut-être pas si étrange, que l’on retrouvera plusieurs fois sur la fin de l’album, renforcée par les registres vocaux et leurs capacités à les varier de Jarvis Cocker et de Neil Hannon.

Certes, ici, tout n’est pas parfait – Farmers Market, portée par le violon, qui retient moins l’attention, et fait momentanément croire à un ventre mou de l’album, puis la fin de l’album avec Hymn of the North, où Jarvis s’adresse à son fils, tentant d’exorciser son départ du foyer (et le sien propre il y a longtemps ?) et l’exhortant à ne pas oublier le nord, saluée dans les média « traditionnels » et que l’on a trouvé un peu longuette pour notre part.

Enfin, on ne sait pas trop quoi penser de la comptine conclusive A Sunset, co-composée par Richard Hawley (ancien membre de Pulp parti vers une carrière de crooner à succès intermittent), qui fait défiler la famille Eno aux chœurs, dont on peine à voir l’utilité même si elle est « sympa », un adjectif que l’on aimerait éviter d’accoler à Pulp. A moins qu’il ne faille la voir — comme premier, deuxième, troisième degrés ne sont pas toujours évidents à départager ici — comme un écho ironique à Sunrise, la dernière chanson enregistrée par Pulp pour un album auparavant, sur We love life (2001). Un coucher du soleil, un crépuscule décrit aujourd’hui alors que Pulp est bel et bien de retour, là où le groupe, à bout de course, célébrait le lever du soleil, l’aube, quelques mois avant son split : on pourrait y voir, définitivement, l’art du contrepied cher à Jarvis Cocker. Façon de refermer l’éclipse partielle longue de 24 ans, et de nous dire qu’il y a une vie créative après 60 ans. Une vie tout court, même. Jarv Is. Welcome back !

Jérôme Barbarossa

Pulp – More
Label : Rough Trade
Date de sortie : 6 juin 2025

 

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