Pour les amateurs du genre, on ne présente plus les polars du Danois Jussi Adler-Olsen. Mais aussi bien pour les afficionados que pour les néophytes, cette nouvelle adaptation sera une belle surprise.
Les polars du célèbre duo d’enquêteurs Carl Morck et Haffez el-Assad ont déjà fait l’objet d’une adaptation danoise sur écran en long format. Cette nouvelle adaptation en série de neuf épisodes de presque une heure chacun est exportée sous le ciel pluvieux d’Edimbourg.
Scott Frank, le réalisateur de la nouvelle série n’est pas un inconnu de Netflix. Il a réalisé l’un des grands succès internationaux de la plateforme Netflix : Le jeu de la Dame. On retrouve d’ailleurs ici sa patte : décors aux connotations rétro, joutes verbales et personnages forts.
Les dossiers oubliés reprennent l’intrigue du premier polar, Miséricorde. Ici, Carl Morck, flic anglais désagréable qui se réjouit de l’être, et son coéquipier écossais Hardy sont victimes d’une fusillade. Un agent de police est tué, Hardy reste paralysé. Morck, pétri de culpabilité et interprété par l’excellent Matthew Goode, reprend du service après quatre mois de convalescence. Elément jugé incontrôlable par sa hiérarchie, il est littéralement mis au placard à son retour. Sous prétexte de création d’une unité en charge de résoudre des cold cases, il est nommé à sa tête sans personne sous ses ordres… Le titre original Department Q est identique au titre danois. Dans la série, il fait aussi référence à l’emplacement de l’unité au sous-sol du poste de police, les bureaux coincés entre vieilles douches et urinoirs hors service des « Shower Quarters ».
Comme dans les polars, un nouveau duo va se former avec l’arrivée d’un ancien flic syrien, ici nommé Akram Salim, joué par Alexej Manvelov, parfait de justesse dans son rôle. Il va aider Carl à déterrer un cold case qui paraît pourtant déjà résolu. Quatre ans auparavant, après la perte d’un procès, une procureure pas très sympathique, jouée par l’actrice écossaise Chloe Pirrie, a disparu sans laisser de trace à bord d’un ferry reliant Edimbourg aux îles Hébrides. L’enquête a tourné court, concluant au suicide. C’est sans compter sur l’intuition d’Akram et la ténacité de la nouvelle équipe. Carl Morck tient plus du genre pitbull que scott-terrier. Quand il flaire une piste, il ne lâche rien et prend un malin plaisir à mordre les mollets.
Le scénario est intelligemment construit, sans lourdeur. À l’aide de flash-backs, on plonge peu à peu dans l’intrigue. Sans indication de temporalité à chaque retour dans le passé, on parvient malgré tout à ne pas se perdre. Il peut y avoir quelques longueurs en milieu de série, mais elles sont vite oubliées quand le dénouement approche. Scott Frank avait acquis les droits depuis pas mal de temps. Le projet aura mis six ans à se concrétiser. Il a failli être américain et tourné à Boston, mais n’a pas convaincu. Finalement, la Grande-Bretagne était la destination idéale pour concilier humour et ce qu’il faut d’arrogance pour coller à l’esprit original des polars danois.
Matthew Goode, notamment connu pour ses seconds rôles belle gueule dans Downton Abbey et The Crown, est ici affublé d’une barbe hirsute qui cache un visage émacié. Il joue à la perfection le type arrogant qui flirte avec le craquage total. Kelly MacDonald, Leah Byrne et Jamie Sives complètent le casting pour incarner respectivement les personnages du Dr Rachel Irving, de Rose et de Hardy. Le scénario permet à chacun de trouver sa place et de tirer son épingle du jeu.
Les dialogues sont savoureux. Si vous n’êtes pas réfractaires à regarder une série en version originale, ne vous privez surtout pas de ce plaisir pour Les dossiers oubliés ! Vous pourriez sinon passer à côté de petits plus. Le premier est l’accent des acteurs. Matthew Goode joue le rôle de Carl Morck, Anglais déconfit de se trouver au milieu de ces rustres d’Ecossais, qui lui rendent la politesse. Des joutes verbales assez drôles s’ensuivent sur les expressions idiomatiques des uns et des autres. Bon nombre d’acteurs étant des Ecossais pure souche, ils ne forcent pas leur accent. Il faut savoir que l’Ecossais roule les R comme personne. Les sous-titres deviennent alors indispensables pour le commun des mortels qui se pense pourtant assez à l’aise avec l’anglais.
Côté décors et costumes, c’est un sans-faute. Les éléments de décor collent parfaitement, avec un clin d’œil subtil au design danois dans le bureau de l’inspectrice en chef.
L’épilogue laisse la porte ouverte à une deuxième saison. Cela permettrait de creuser les personnages et leur donner encore plus d’épaisseur, à l’instar des livres. La relation entre Morck et le Dr Irving ne demande qu’à évoluer. Mention spéciale pour le personnage d’Akram, mystérieux à souhait.
Caroline Martin