Soirée écossaise à La Cigale avec le retour de Bobby Gillespie et de Primal Scream, triomphal et inattendu après Come Ahead, premier album paru fin 2024 après 8 ans de silence. Mais peut-on séparer l’homme de l’artiste, devenu icône de la mode à temps partiel ? Et Primal Scream est-il encore capable d’enchanter les foules, un quart de siècle après le pic de sa gloire ?

2025, l’année du retour en grâce de Bobby Gillespie : si on nous l’avait dit il y a quelques années, on n’y aurait pas cru ! Primal Scream, un groupe qui a souvent su se réinventer avec brio, semblait en effet bel et bien dans un coma dépassé cette fois après 8 ans d’absence, quand il a publié son dernier album, fin 2024, Come Ahead. Une brillante réussite, portée par une volée de singles de haute volée, mélangeant les genres sur fond de rock tonitruant comme il se doit – directement dans les palmarès de fin d’année. En ajoutant quelques caméos toujours bien sentis de la part de Gillespie, notamment chez les Limiñanas, la certitude émergeait : Gillespie et Primal Scream étaient, sont, de retour, pour notre plus grand plaisir.
Restait à vérifier sur pièce la transcription scénique de ce dernier opus, en nous rendant en ce début de courte semaine d’après le pont de Pentecôte à la Cigale. Comme toujours après We Love Green, le soleil a pris ses quartiers d’été à Paris, tout comme les rockeurs plus ou moins jeunes, souvent de passage après avoir participé au festival Primavera à Barcelone. En avant donc pour conforter le bilan C02 de Bobby, et nous nous engouffrons donc dans une salle obscurcie pour retrouver les Ecossais et vérifier leur état de forme.
Il faut d’abord passer un premier obstacle, également Scottish, le groupe néo-métal VLURE, même si cette qualification est un peu au doigt mouillé. Difficile en effet d’attribuer une étiquette à ce groupe jouant un rock musclé assez indus avec des réminiscences du pire des années 80, à coups de synthés évoquant la culture club et rave, mais produisant surtout des effets kitsch assez premier degré. VLURE, ce serait un peu Muse qui aurait vraiment très, très mal tourné. VLURE se voit sans doute ambiancer les stades, mais dans l’immédiat, c’est face à une Cigale quasi vide qu’il peut mesurer l’ampleur du défi qui l’attend. De ce spectacle assez peu supportable, et dont on a du mal à comprendre la pertinence en première partie de Primal Scream, si ce n’est par une « connexion écossaise », surnagera surtout le souvenir des tatouages monstrueux des chanteurs, puis du bain de « foule », dans une salle enfin un peu plus remplie, pour le dernier morceau clôturant cette épreuve.
Passons aux choses sérieuses, et aux vrais rockeurs, ceux de Primal Scream. Au menu ce soir, 2h de rock tantôt primitif, tantôt complexe, mâtiné de rock psyché, acid house, funk, électro, avec une set-list piochant largement dans le dernier album – 8 morceaux, soit quasiment la moitié des 18 titres joués ce soir ! Et c’est tant mieux. Mais l’attraction de la soirée se résume ainsi : Bobby Gillespie. L’homme est presque plus actif désormais dans l’univers de la mode que celui du rock, jusqu’à être l’incarnation récente avec Kate Moss d’une collection de vêtements se voulant à la fois cools et élégants pour les festivals — après tout, Kim Gordon a eu également cette destinée, donc pourquoi pas ? Bobby Gillespie est donc une rock-star de notre temps, pas punk pour deux sous, mais qu’on ne peut pas jeter aux orties non plus, vu l’œuvre originale produite.
A 20h35, dans une Cigale quasi complète, Bobby entre en scène avec 5 minutes de retard sur l’horaire prévu dans sa veste blanche d’icône de la mode, avec des airs de vieux mannequin, un peu maniéré, étrangement félin, mécaniquement cabotin, proche et distant à la fois. sous ses cheveux sans doute teints, l’homme cache un visage qui n’a guère vieilli et des yeux perçants qui font curieusement penser à ceux de Jean-Louis Murat. L’oldie Don’t Fight It, Feel It, un manifeste post-Clash, ouvre les hostilités avec grâce, enchaîné parfaitement sur Love Insurrection, un des tubes du dernier album sur un riff très funk. Le ton est donné : ainsi, les singles récents ne vont pas tarder à être joués et à constituer les moments forts de la soirée : ce sera ensuite Ready To Go Home (rythmée et en hommage à son père) et Innocent Money… Les albums les plus expérimentaux, comme Vanishing Point et XTRMNTR, ne seront pas oubliés, même si réduits à la portion congrue, avec un titre chacun (Medication et Swastika Eyes, mais pas le brillant Kowalski).
Son groupe de soudards fournit à Gillespie l’artillerie dont il a besoin pour faire exploser ses projectiles : Andrew Innés à la guitare, Simone Butler à la basse, toute de cuir vêtue avec des airs de Poison Ivy, un claviériste/pianiste, Alex White de Fat White Family au saxophone et coiffé d’un béret venant régulièrement sur scène pour des duos avec le guitariste, et ce à partir de Jailbird, troisième chanson du concert. Pour compléter cette puissance de feu, une paire de choristes, Roslyn Adonteng et Martha Evans, se balance à l’arrière-plan, avec une utilité avérée sur une moitié des morceaux au final – il faudra attendre par exemple la chanson suivante, Ready To Go Home, pour les voir chanter vraiment avec une plus-value notable quant à la réception ainsi plus soul / gospel du morceau.
Au-delà des étiquettes et du mélange des genres propre à Primal Scream, la bonne vieille étiquette « rock » est peut-être la plus simple pour qualifier cette soirée. « Rock », la suite l’est, en effet : Bobby danse, Bobby minaude, Bobby chante, Bobby fait semblant de regarder des spectateurs en dansant, Bobby frappe dans ses mains pour mieux faire « clapper » le public (qui, globalement, lui rend bien), Bobby tombe enfin sa veste trop classe à mi-concert. Parfois, on se dit que tout cela manque un peu de naturel et d’humour, bref d’interactions spontanées avec le public entre les morceaux — résumées grosso modo à quelques excuses rapides pour ne pas avoir joué depuis longtemps à Paris. Mais à quoi bon ? Bobby est une rock-star, doublé d’une icône de la mode, il est déjà plus que lui-même, et au carré. Alors, pourquoi trop en faire quand on « fait le job » ? C’est ainsi que Bobby reste humain — il n’est pas infaillible non plus ; parfois, il nous endort même un peu, avec un ventre mou du concert à l’heure de jeu, vite effacé par un carré de tubes implacables : Loaded (triomphe avec ce riff baveux ultra-efficace), Swastika Eyes (dans une version à riff assez post-punk, finalement proche de l’originale), Movin’on Up et Country Girl pour clôturer le set. Le rappel sera à l’unisson, Melancholy Man, en douceur, avant la quasi transe du long et progressif Come Together, et l’inévitable Rocks en clôture cataclysmique, une bonne centaine de personnes transformant le moshpit en zone interdite.
Au final, un parcours avec ses montagnes russes, ses grands moments « de rock » et de décibels, ses extases intelligentes et dansantes. Et sa rock-star à la fois légendaire et propre sur elle, à l’image de cette set-list déroulée imperturbablement tous les soirs, quelle que soit la ville, le public, la température et l’ambiance. Mais il manquait peut-être à ce concert une dose de sincérité et d’audace supplémentaires pour en faire un grand concert. De la « Soul ».
22h30. Bobby est pro, il peut sortir de scène, poor lonesome Scottish « com-boy », sous les viva à l’heure du couvre-feu, impeccable popstar, qui filera, loin de nos regards, prendre une douche bien méritée. En route pour donner du bonheur électrique sous d’autres cieux et dans une nouvelle chemise propre et bien repassée.
Texte : Jérôme Barbarossa
Photos : Primal Scream : Jean Ox (merci à lui !) – VLURE : Laurent Fégly (merci aussi !)