Revenons sur le passage de Dan Bejar avec son groupe Destroyer, en toute discrétion, au Trabendo, à deux pas d’un Zénith complet pour réécouter un Massive Attack sans actualité discographique. Et c’est dommage : avec sa musique parfois baroque, l’artiste canadien est porteur d’une ambition trop rare dans la pop contemporaine, et ce, depuis trois décennies.
Choc des cultures et des ambiances en ce lundi soir – estival – de Pentecôte au Parc de la Villette : Massive Attack remettent le couvert dans un Zénith complet après une prestation à Rock en Seine l’an passé, et Dan Bejar – alias Destroyer – se produit dans un Trabendo seulement rempli aux deux tiers…
L’artiste canadien joue dans le cadre de la tournée supportant son seizième album, Dan’s Boogie, sorti en mars, et ponctuant quasiment trente ans de carrière. Accompagné d’un groupe pléthorique, Dan Bejar a pu donner de sa personne à sa façon, légèrement déconstruite, disons « alternative ». Avec des airs gainsbourgiens, l’homme ne donne pas nécessairement le sentiment le respirer le bonheur sur scène, s’accroupissant régulièrement et disparaissant des regards, se plongeant parfois dans les paroles écrites des chansons, et limitant les interactions avec son public au strict minimum (la première intervenant après la moitié du set !), mais sans qu’on lui en tienne trop rigueur au final. En effet, à son crédit : de très belles chansons, complexes et richement arrangées, et pop à la fois, sur lesquelles plane la voix, un poil nasillarde, de Bejar, reconnaissable entre mille. Une ambition qui reste trop rare, et qui a été honorée par son groupe, furibard, et le son (peut-être trop fort) du Trabendo.
Ce soir, Destroyer avait en effet mis les moyens, humains et matériels, évoluant en septuor soudé et puissant, composé uniquement de mâles quadra ou quinquagénaires : autour du chanteur officient sur cette tournée Ted Bois (claviers), Nicolas Bragg (guitare lead), David Carswell (guitare), John Collins (basse) et Joshua Wells (batterie, percussions), et J. P. Carter… Véritable héros de la soirée pour le public du Trabendo, ce dernier, trompettiste habituel du groupe, fut très actif et donna un grand nombre de soli, confirmant le choix clair de Bejar en la matière pour le live, là où environ « un quart » (selon ChatGPT !) des chansons de Destroyer comportent de la trompette.
Concernant la set-list, Dan’s Boogie fut évidemment à l’honneur, avec 5 des 14 morceaux joués ce soir, dont la très jolie Bologna, en duo avec Fiver, chanteuse qui avait assuré sa première partie et que l’on pouvait ensuite retrouver tout sourire au stand merchandising, et le tubesque Hydroplaning Off the Edge of the World (entamé par des « Papapapapa » appuyés). Les 9 autres morceaux piochaient dans les albums précédents, jusque Kaputt (2011), faisant une exception pour une très dense interprétation d’European Oils, issu de Destroyer’s Rubies (2006). Mais la set-list piochait surtout logiquement dans les albums où la trompette est très présente, notamment son incunable, l’album Poison Season, avec Times Square (peut-être sa plus belle chanson ?) et The River, magnifique mid-tempo, interprétées impeccablement toutes deux, ainsi que Kaputt (2011).
Extraits de ce dernier album, Suicide Demo for Kara Walker et Cataract, en unique rappel, ont clôturé le set, puis le concert lui-même, au bout d’1h15 rondement menée, élégante, électrisante et efficace. La musique de Glen Branca nous raccompagnait vers le métro Porte de Pantin, comme un manifeste bruitiste, mais un peu pop aussi, inattendu.
Texte et photos : Jérôme Barbarossa