[Essai] « Seinfeld : fini de rire » de Hendy Bicaise : tout sur « rien » !

Fan de l’énorme série TV / Sitcom Seinfeld, qui participa à définir la télévision moderne ? Ou au contraire novice et un peu effrayé à l’idée de pénétrer sans guide dans cette jungle de 172 épisodes ? Seinfeld, fini de rire est sans doute la meilleure lecture possible. Ou pas.

Seinfeld fini de rire image

Posez la question à Chat GPT, puisque, apparemment, c’est comme ça que tout le monde fait aujourd’hui, à l’école comme au boulot, sur Seinfeld, et vous obtiendrez un gloubi-boulga d’évidences lénifiantes et publi-promotionnelles du genre : « Série fondatrice de la comédie télévisée américaine contemporaine, Seinfeld demeure, plus de 25 ans après sa fin, un sommet de l’écriture comique et une référence culturelle incontournable. Créée en 1989 par Jerry Seinfeld et Larry David pour la chaîne NBC, cette sitcom a bouleversé les codes du genre en assumant pleinement son credo : une série « sur rien ». En neuf saisons et 180 épisodes, elle a transformé des situations quotidiennes apparemment banales en ressorts comiques d’une précision chirurgicale, donnant naissance à un univers absurde, peuplé de personnages devenus iconiques — de l’obsessionnel George Costanza à l’excentrique Kramer. Succès critique et populaire, Seinfeld a aussi marqué l’histoire de la télévision par sa capacité à capturer l’esprit des années 1990, tout en influençant durablement des générations de scénaristes et d’humoristes. »

Seinfeld fini de rireMême si, a priori, et pour une fois, il n’y a pas trop d’erreurs dans cette réponse de l’IA qui nous gouverne, vous aurez certainement envie d’aller creuser derrière les évidences dont les paresseux se contentent. Il y a aujourd’hui une bonne solution, celle de lire Seinfeld, fini de rire, le dernier essai de Hendy Bicaise, critique de cinéma, dont nous avions déjà pu apprécier, il y a trois ans, l’excellentissime Le réalisme magique du Cinéma chinois.

Que Bicaise soit un essayiste brillant, c’est immédiatement évident à la lecture de l’introduction de Seinfeld, fini de rire : parfaitement documenté (bon, c’est la moindre des choses…), pertinent dans son analyse de l’importance justifiée du succès et de la reconnaissance de Seinfeld, suffisamment décalé par rapport aux évidences que tout le monde connaît sur la série (celles justement que compile Chat GPT), Bicaise est à la fois passionné et passionnant, donc percutant.

C’est quand on se lance dans le cœur de l’ouvrage que des questions nous viennent à l’esprit : cet essai est-il réellement lisible par des gens qui n’auraient jamais regardé la série-phénomène ? Et, plus important sans doute, peut-on appliquer à un objet aussi colossal – en termes de nombre de personnages, de situations, d’évolution dans le temps – qu’une série de 9 saisons, 172 épisodes, qui a duré près de 10 ans, les approches de réflexion critique qui ont été développées pour le cinéma, et des formats infiniment plus courts ?

L’analyse proposée par Bicaise porte sur cinq sujets : d’abord, une radiographie des quatre personnages principaux, Jerry, Elaine, Kramer et George, suivie d’une réflexion sur la nature des relations (d’amitié, d’amour, et autres) entre ces personnages, et avec leur entourage, visant à mettre le doigt sur tout ce qui est dysfonctionnel dans ces relations, et en particulier le déficit flagrant d’empathie dans de nombreuses circonstances. On explore ensuite, plus rapidement, le thème du double, relativement récurrent au fil des épisodes, puis l’hostilité qui se manifeste vis à vis de « l’Autre ». Jusque là, le livre déçoit un peu, en tous cas pour ceux qui ne sont pas familier de la série : au fil des pages, se succèdent des exemples pris dans une multitude d’épisodes, illustrant les réflexions de l’auteur… le tout s’avérant un peu fastidieux. A moins, évidemment, d’accompagner la lecture d’un re-visionnage des épisodes cités, ou au moins des scènes mentionnées !!!

Heureusement, les deux derniers chapitres sont plus riches, plus stimulants, proposant une réflexion plus « philosophique » (Bicaise cite d’ailleurs régulièrement de travail de différents philosophes pour enrichir son texte…) : le caractère « clos » du monde de Seinfeld et de ses fictions, et, finalement, cette fameuse affirmation initiale que le sujet de la série était le RIEN. Mais un RIEN, qui comme l’inscription sur la tombe d’Ozu, renvoie en fait à la confrontation de l’homme avec la Mort. Une terreur indicible que les personnages de Seinfeld fuient en se réfugiant dans des fantasmes d’enfance éternelle, et dans l’immaturité qui les accompagne.

Difficile d’affirmer que Seinfeld, fini de rire emportera l’adhésion de tous, mais il apportera en tout cas un éclairage nouveau à ceux qui aiment la série, qui ont vécu avec elle durant sa longue existence, et qui aiment en revoir régulièrement des épisodes. Quant à nous, avouons que nous avons été particulièrement intrigués par le court chapitre montrant l’influence du Twin Peaks de Lynch sur la création de Seinfeld et David : on n’est jamais à l’abri d’une nouvelle surprise !

Eric Debarnot

Sinfeld, fini de rire
Essai français de Hendy Bicaise
Editeur : Playlist Society
160 pages – 17 Euros
Parution : 12 juin 2025

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