Sorti ce printemps, le nouvel album du mythique groupe hollandais ravira sa fanbase hardcore, et peut-être au-delà, avec son mur du son d’une dizaine de morceaux allant bien au-delà du post-punk et du rock noisy. Entêtant, énergique, et à vivre sur scène !

Dès Beat Beat Drums, titre d’ouverture du nouvel album du groupe hollandais inspiré d’un poème de Walt Whitman de 1861, on sait où l’on est : chez The Ex ! Ça crache, ça fume, ça vole, ça bastonne, ça joue, ça dissone, ça bat ! Le cœur de la vie bat comme le roulement des baguettes répétitif sur les fûts : on est au-delà du post-punk ou de la noise, dans un territoire magnifique et énergique, épatant sur enregistrement, et encore plus dingue en live. Viva The Ex !
Faut-il le rappeler, le groupe, fondé en 1979, a connu un certain succès dans les années 90, et est considéré comme une référence majeure par une flopée d’autres groupes de valeur comme Sonic Youth ou Fugazi. Son line-up a évolué, ne comportant plus qu’un membre originel, le mythique guitariste Terrie Hessels (il faut le voir s’agiter sur son instrument tel un ado attardé qu’il n’est plus depuis longtemps), mais quand même deux membres présents depuis 25 et 30 ans, Andy Moor (guitare) et Katherina Bornefeld (batterie, percussions, chant), composant une assise très solide, renforcée par le très énergique et engagé chanteur principal Arnold de Boer (également à la guitare et aux samples occasionnels), qui a remplacé il y a plus de quinze ans le chanteur d’origine, Jos Kleij.
If Your Mirror Breaks serait le 28ème album d’une discographie pléthorique, 7 ans après le précédent effort, durée inhabituelle pour le groupe, qui a continué à être actif et tourner durant cette période. Il était temps de se poser et d’enregistrer certaines chansons qui étaient déjà jouées sur scène, et notamment lors d’un concert parisien récent à la Marbrerie à Montreuil, un mois avant la sortie de l’album. Toutes ces dix nouvelles compositions sont dédiées à Steve Albini, avec qui le groupe a collaboré. Et, puisque l’on évoque les références mythiques, si les Bataves sont devenus le groupe favori des fans de Sonic Youth orphelins, comme votre serviteur, ce n’est pas pour rien : même rigueur dans la déconstruction, même vigueur et même énergie inattaquables, imperturbables, mais avec toujours ce souci quasi pop de garder une ligne claire pour la mélodie, le tout magnifié par une production béton. Un mur du son implacable, un rouleau compresseur sonore qui dévale donc tout ici, après le titre introductif merveilleux : Monday Song calme le jeu certes, mais avec une mélodie mid-tempo délicieusement toxique, faisant possiblement écho à Sunday Morning du Velvet, comme une suite dégénérée, puis The Evidence, qui part en vadrouille sur tempo franchement punk, avec un riff solide, bientôt brouillé par un solo noisy comme The Ex peut s’en faire, parfois, le chantre, mais toujours au service d’une mélodie générale qui reste prioritaire. Dix minutes au compteur, on est déjà en nage, et pas juste parce qu’on réécoute l’album en pleine canicule, avec les jambes qui flageolent. Spider and Fly est lui aussi d’une grande richesse, brouillé par des bruits enregistrés divers et dissonances des guitares, recomposant un chaos typiquement « sonicyouthien » des décombres. Géant. Circuit Breaker, autre mid-tempo qui suit, crée une sorte de rapide ventre mou toxique du disque, avec un côté franchement « SY », ses quasi 6 minutes ayant une parenté sonore avec un titre tel que Diamond Sea, grand marqueur du Sonic Youth de la fin des 90s.
Wheel, qui introduit la face B, renouvelle l’intérêt de l’auditeur en étant la seule chanson, remarquable, de l’album chantée par la batteuse Katherina Boornfeld : « “New life force unfolds for those who flow / with the song of their souls.” (même si difficile à traduire, tentons : Une nouvelle force de vie se déploie pour ceux qui s’écoulent / avec le chant de leur âme). Boornfled a une belle voix, sans doute sous-utilisée. De ce point de vue, elle est un peu la Lee Ranaldo (plus que la Kim Gordon) du groupe. Logée au milieu de l’album, la plus rapide The Loss était jouée ces dernières années sur scène par le groupe, et on s’étonne qu’elle n’ait pas été enregistrée auparavant, tant elle donnait le sentiment d’un classique immédiat avec son refrain basique « Loss, loss, loss, loss » scandé par de Boer, insufflant rage vindicative et joyeuse à une composition là encore très mid-tempo aux frontières du noise et du post-punk. Avant-dernier morceau de l’album, The Apartment Block a pour refrain curieux « When I grow up / I want to be in an apartment block “ (Quand je serai grand, je veux vivre dans un immeuble résidentiel), doublement ironique, pour ce groupe à l’éternelle jeunesse sonique, dont le morceau se termine par deux minutes de chaos sonore néanmoins mélodique, en jouant sur différentes textures de sons de guitares. Le bien nommé et vital Great conclut ensuite cet album à la tonalité générale plutôt mid-tempo, malgré quelques compositions plus enlevées ou rappelant les origines punk du combo.
Au final, il est impossible de comparer sérieusement au reste du catalogue du groupe, pléthorique et plein d’albums ou de lives à diffusion confidentielle (même les fans hardcore ne doivent pas s’y retrouver !), mais une chose est sûre : cet album confirme et assoit encore plus le statut de ce groupe culte, et le transcende même. The Ex continue ainsi de tracer le sillon de son post-punk dans un registre noisy décidément parfait pour les fans de la Jeunesse Sonique, et de sa galaxie associée, tout en étant lui-même, avec ses guitares, ses chanteurs, sa chanteuse, et sa propre signature sonore, éternelle. Un groupe qui, malheureusement, il faut bien le dire, ne bénéficie pas d’une diffusion et d’un soutien à la hauteur de son œuvre, du moins en France. Alors, redisons-le : il faut écouter, et, aussi, voir, The Ex. Une expérience physique sur enregistrement studio et à réellement à vivre sur scène, tant le groupe s’y donne avec une énergie folle, dévorante, épuisante mais joyeuse, pour le public comme pour lui, défiant les âges et le temps. The Ex : le génie à nos portes !
Jérôme Barbarossa
The Ex – If Your Mirror Breaks
Label : Ex Records / Konkurrent
Date de sortie : 4 avril 2025
The Ex en concert en France : le 13 juillet à Luz Saint-Sauveur (Festival Jazz à Luz), le 14 septembre à Paris (Festival Frissons Acidulés), le 14 octobre à Rouen (Salle Louis Jouvet), le 15 octobre à Rezé (La Soufflerie), le 16 octobre à Brest (Les Plages Magnétiques), le 17 octobre à La Roche-sur-Yon (Quai M).
A noter pour les fans, les différents membres de The Ex joueront également séparément avec d’autres artistes lors du festival Jazz à Luz (potentiels chroniqueurs de ce festival auquel nous ne pourrons pas être présents, n’hésitez pas à vous faire connaître auprès de la rédaction !).
Plus d’information : https://www.jazzaluz.com/index.php/festival