The Last Dinner Party figurait – étrangement – à l’affiche du mastodonte Lollapalooza, de Live Nation. Au milieu d’un océan de décibels tièdes et calibrés, le sextet a délivré une prestation scénique impeccable, et même trois nouvelles chansons, dans l’attente d’un nouvel album annoncé dès octobre. Ces filles ont du panache !

Pourquoi diable aller à l’Hippodrome de Longchamp de nos jours, quand on est amateur de Rock ? Le lieu, comme celui de Vincennes à l’est, s’est reconverti en terre d’accueil de grands festivals d’été, source de revenus au moment de la saison d’inactivité, alors que les chevaux se reposent, au même moment que les joueurs de rugby, mais pas aux mêmes endroits. Après le festival Solidays, c’est donc la franchise française du festival Lollapalooza que l’hippodrome accueille depuis quelques années.
Le festival lui-même est très loin des bases qui l’ont fait connaître, et amplifier, les vagues du rock alternatif, grunge, metal, fusion, et du rap américains dans les années 90. Vu par Live Nation, pour les adolescents européens de 2025, à Paris comme ailleurs, Lollapalooza est un immense « robinet d’eau tiède », du moins à nos yeux de quadragénaires : l’affiche de ce vendredi est emblématique, tout en restant conscients que nous ne sommes pas « la cible »du festival. Aux côtés d’Olivia Rodrigo, la tête d’affiche, se tiennent Lola Young, Brensan Boone, Neil Frances, et d’autres thuriféraires d’une musique ni tout à fait variété, ni vraiment pop, un peu rock comme un peu électro, ménageant la chèvre et le chou, jouant sur tous les tableaux, et donc au final réellement nulle part. Ne pas chercher ici une quelconque singularité, on est là pour actionner le rouleau compresseur de l’Oncle Sam, en visant les adolescent-e-s et jeunes adultes basé-e-s à Paris, français-e-s comme étrangers/ères, et notamment anglo-saxon-ne-s (et leurs daron-ne-s…).
Pour nous, la soirée commence donc au son de Lola Young, une Anglaise de 24 ans, aux 37 millions de followers sur Spotify après un seul album au compteur, qui se plaint de la température (30 degrés à 18 heures, sous un ciel lourd parfois troué d’éclaircies), et conseille régulièrement au public de s’hydrater. A part ça ? Le robinet fonctionne à plein, avec un groupe d’accompagnement d’où rien ne dépasse, jusqu’à Messy, le « tube » final (qui, lui, cumule plus de 750 millions d’écoutes à cette heure).
On aurait presque envie de dire que 1/ encore une « Young » qui déçoit pour la seconde fois en une semaine à Paris, mais aussi, toute mauvaise foi bue, que 2/ cela était en définitive « sympatoche »… si l’on n’était pas conscient de ces chiffres d’écoute qui donnent à l’affaire une tournure surréaliste, y compris sur le plan économique. Vision positive : une ritournelle pop rock classique, ni mieux ni pire que la moyenne générale des cinquante dernières années, peut être écoutée bientôt un milliard de fois par des oreilles humaines en 2025.
Tout n’est donc pas perdu, se dit-on, au moment où The Last Dinner Party déboule sur la grande scène, intitulée « Main West », qui est juste à côté et à 90 degrés de la « Main East » où vient de terminer Lola Young. D’emblée, la rupture est nette : nous sommes face à un groupe de rock, un vrai, avec six musiciennes visiblement soudées, déjà rompues à l’art de jouer collectif sur scène, menées par la virevoltante chanteuse Abigail Morris, dans sa robe échancrée blanche, et qui ne s’économisera pas pendant une heure. Devant un décor – façon péplum – de fausses colonnes grecques, durant une heure, les musiciennes vont montrer qu’elles ne se voient pas du tout comme le tube d’un seul été, en l’occurrence, celui de 2024. Aux côtés de Morris, Emily Roberts (lead guitar), Georgia Davies (basse), Lizzie Mayland (guitare et chœurs), Aurora Nishevci (aux synthés, et claviers, parfois en bandoulière), complétées pour la scène de Casper Miles à la batterie, vont décliner leur rock baroque, mélodique, arrangé et pas vraiment définissable, durant une heure tout simplement… rock. Montées et descentes intenses tout au long des alternances traditionnelles couplets-refrains, avec quelques effusions plus baroques au programme, sans exclure deux ou trois chansons plus lentes pour calmer le jeu et re-lancer l’attention : le programme n’a vraiment rien d’exotique, mas on se dit qu’il peut aider, ce soir, à faire naître quelques vocations, dès la programmative Burn Alive, qui ouvre le set, avant la très dynamique Caeser on a TV Screen, un de leurs tubes, sur laquelle elles font danser et applaudir en chœur le public. D’une manière générale, la plus belle part sera laissée, forcément, à leur premier album, mais les Anglaises ont ce soir une surprise : il s’agit en effet de leur premier concert depuis le dévoilement, la veille, du premier single de leur deuxième album (From The Pyre, attendu pour le 17 octobre) ainsi que de la tracklist de celui-ci. Le groupe va ainsi jouer ce soir trois nouveaux morceaux, Second Best, en troisième position, et, en fin de concert, Big Dog (qui ne figure pas sur la track-list, du moins sous ce titre, du nouvel album), et This is the Killer Speaking, ledit premier single, très efficace et qui martèle le message, très clair du groupe : nous ne sommes pas le groupe d’un seul album, ou de trois ou quatre tubes. De fait, la prise de risque consistant à sortir un deuxième album dans la foulée – à peine un an après – un premier qui a connu une grande reconnaissance, critique comme publique, est à souligner, et à saluer.
Il y a du panache chez The Last Dinner Party, et, même sans que le groupe ne puisse être considéré encore comme « génial », il y a une singularité et un côté bravache qui forcent le respect. Idem sur scène, où le groupe arrive à alterner ses tubes évidents (On Your Side, Sinner, The Feminine Urge et l’inévitable Nothing Matters pour clôturer le concert) et le reste (la courte comptine en arménien Gjuha, chantée avec assurance par Nishevci, le midtempo un peu ennuyeux de Mirror, ou, à l’inverse les effusions collectives comme My Lady of Mercy et This is my Killer Speaking, utilisant à plein l’avancée scénique mise en place sans doute surtout pour Olivia Rodrigo 3 heures plus tard). Au total, on est marqué par la grande force collective du groupe, où chacun a droit à son petit moment à soi ou solo, et par un son riche, néanmoins complexe et homogène. C’est ce même son qui est aujourd’hui la limite de TLDP, puisqu’un peu plus de singularité, sous forme d’anomalies ou de disruptions sonores, ne nuirait sans doute pas. Peut-être celle-ci viendra-t-elle de Roberts, dont la lead guitar structure tout de même assez le son du groupe (et la mandoline, sur Gjuha). Le show lui ménage ainsi quelques soli sympathiques, jamais très longs, et notamment la fin de Sinner, où elle assure, seule au-devant du public sur l’avancée.
Enfin, et cela divisera toujours, il est difficile de ne pas signaler que, derrière cette façade pop rock bien peignée et agréable, le groupe anglais avait un message politique à délivrer, en soutien aux Palestiniens (« Il serait dommage de ne pas utiliser une plateforme comme celle-ci ») , en appelant aux dons via leur site, sans pour autant pouvoir afficher le QR-Code de référence sur les écrans – sans doute des limites imposées par Live Nation, appuyé par un « Free Palestine ! » en toute fin de concert. En tout cas, aux dernières nouvelles, toujours pas d’annonce de retrait éventuel de subvention par une collectivité locale d’Ile-de-France (il est vrai qu’il n’y en a pas qui serait partenaire officiel…). Pour revenir à la musique, si celle de The Last Dinner Party ne nous a pas encore totalement transformés, nous écouterons en tout cas avec intérêt ce deuxième album au premier titre énergique et prometteur, d’un collectif qui semble bien vivre ensemble et sur scène. Ce n’est pas si mal !
Et la fin de cette première journée de l’édition 2025 de Lollapalooza à Paris ? Retour, sur la scène « Main East », du robinet d’eau tiède, avec Benson Boone, aux 56 millions d’écoutes mensuelles, qui débite au kilomètre des tubes post 60’s et 70’s comme composés par une IA, repris en chœur par des milliers d’ados. Il réclame sur In The Stars, une chanson de deuil au milliard d’écoutes dépassées, le silence et la non-utilsation des portables, et ne sera pas respecté du tout… Bienvenue en 2025 ! A nouveau, si l’on veut être positif, on retiendra l’efficacité d’une formation pop-rock classique, qui peut éventuellement créer quelques vocations…

Ce sera un peu le même sentiment qui dominera durant l’heure vingt ultra huilée de la popstar Olivia Rodrigo. Déjà, considérons qu’il y a pire au rayon pop contemporaine / hyperpop. Une jeune femme de 22 ans qui a un succès considérable (même si « seulement » 45 millions d’écoutes mensuelles) en faisant une pop quasi vintage, aux effluves gentiment rock, qui cite Fontaines D.C. comme son groupe préféré du moment, qui se fait rejoindre sur scène par Robert Smith pour deux reprises de The Cure, qui entre sur scène après avoir imposé l’écoute de We Got the Beat des Go Go’s (1981), à un public qui très majoritairement n’était pas né quand cette chanson a été composée : il y a vraiment bien pire. Ce qui fascinera ensuite dans cette grande messe post-ado autour de la déclinaison de fin de tournée mondiale de son deuxième album GUTS (2023), c’est la capacité de la chanteuse à jouer de sa propre image, dans un tourbillon millimétré de captations d’elle-même aux quatre coins de la scène, et même sur la véritable deuxième scène qu’était l’avancée au milieu de la fosse. Objectif : étourdir son public dans un océan de stimuli non-stop, soit un tour de force épuisant, mais d’où elle réussit à faire surgir néanmoins une certaine fragilité, et donc une authenticité, sur certaines ballades au piano (comme Drivers licence) ou dans ses choix de setlist (en ouvrant le show par une face B quasi punk, Obsessed), que l’on préfèrera aux moments d’embrasements collectifs chantés à gorge déployée par un public transi, sur les tubes mondiaux (Vampire, Déjà Vu…). Le tout avec un groupe exclusivement féminin très appliqué et engagé, et une légèreté sexy mais jamais vraiment sexualisée bien dans la tonalité souhaitable. Si Olivia Rodrigo n’est pas, comme dirait Léa Salamé aux auditeurs d’Inter de ses débuts, « la came » du lectorat de Benzine, il n’en reste pas moins qu’on peut toujours rassurer les daron-ne-s qui nous lisent : il y a bien pire sur le marché pour les oreilles des ados – et les nôtres.
Lola Young :
The Last Dinner Party:
Benson Boone :
Olivia Rodrigo :
Jérôme Barbarossa
Photos : Lollapalooza Paris / (Matthis Van Der Meulen pour Olivia Rodrigo et Nicko Guihal pour Lola Young et The Last Dinner Party. Merci à eux !