Entre hallucination animée et hommage musical, ce film d’animation nous plonge dans l’univers de Rock Bottom, album culte de Robert Wyatt. La réalisatrice María Trénor explore par touches impressionnistes, les vertiges d’une création marquée par l’amour, la douleur et l’expérimentation sonore.

Projet très original que ce film d’animation, qui pourrait se présenter comme un sorte de making of illustré d’un album mythique, Rock Bottom de Robert Wyatt, sorti en 1974. Le mariage entre l’animation et la musique est toujours fertile, à l’image de la proposition They Shot the piano player l’année dernière. La singularité du dispositif réside ici dans sa volonté de coller à l’audace de la musique, dont les paroles mystérieuses et l’approche expérimentale dictent en un sens la direction artistique.
Inutile de chercher ici un biopic conventionnel permettant une contextualisation ou des éléments historiques : les personnages s’enchainent sans être véritablement identifiés, le groupe Soft Machine n’est même pas nommé, seul un bref carton initial donne quelques maigres éléments.
L’essentiel est ailleurs : en prenant pour point de départ l’accident de Wyatt qui le paralysa à vie, le film explore, dans un approche non linéaire, les ferments de son grand œuvre par le prisme de sa relation amoureuse contrariée, d’une escapade initiatique fondamentale sur l’ile de Majorque et de la prise massive de drogues diverses. Tous les ingrédients du trip hippie, en somme, que les fantasmagories de l’animation vous pouvoir illustre dans toute leur diversité.
Si le dessin se révèle assez rudimentaire sur les figures humaines, c’est dans l’exploration des paysages et de l’altération des perceptions que l’animation va pleinement se déployer. María Trénor expérimente au même titre que son personnage, varie les formats, passe de la 2D plutôt canonique à rotoscopie, au noir et blanc, à la peinture, la vidéo, pour se mettre au diapason d’un couple euphorique dans sa création, mais s’y abimant simultanément.
Le film, qui fait évidemment la part belle aux titres de l’album, laisse souvent de côté sa dimension narrative pour glisser vers une sorte de mise en image de la musique, où les silhouettes fusionnent avec la mer, le ciel et l’irruption de nouvelles palettes chromatiques et sensorielles. Connaitre et estimer l’album majeur de Wyatt conditionnera très probablement l’appréciation de cette proposition singulière.
Sergent Pepper