Mission estivale auto-assignée : se remettre à niveau en matière de série TV sur le Diable de Hell’s Kitchen. On continue avec la saison 4, ou plutôt la première de Daredevil « à la sauce Disney ».

On prend les mêmes, ou presque, et on recommence… ou presque…
C’est à peu près la seule manière d’aborder la nouvelle saison de Daredevil, sortie au printemps sur Disney+. en essayant de ne pas trop divulgâcher… Mais ça va être dur de ne rien dire de l’intrigue et quand même publier une chronique utile à nos lecteurs. Allez, essayons…
Daredevil: Born Again ressemble à un reboot.
Après le rapatriement des droits Marvel rachetés par Disney, on pouvait logiquement imaginer que le géant de la plateforme concurrente à Netflix n’allait pas se contenter de capitaliser sur le succès du Daredevil de Netflix récupéré au catalogue. Mais il faut avouer que la situation scénaristique laissée par Netflix ne facilitait pas la création d’une suite. Wilson Fisk est mis hors d’état de nuire, le Punisher doit faire profil très bas (genre, il est mort), le psychopathe Poindexter finit en piteux état, et Matt Murdoch, alias Daredevil, psychologiquement et physiquement explosé en fin de saison 3, décide de raccrocher les gants. Alors, la logique serait de penser que Born Again est un reboot. On reprend les héros et les vilains du comics et on reboote l’origine story : après tout, on a bien eu trois Spider-Man avec cette logique commerciale, alors pourquoi pas un second Daredevil ?
Quand la « nouvelle série » commence, on retrouve Nelson, Page et Murdoch quelque temps après les événements de la saison 3… Ils sont rassemblés dans un restaurant où ils se font agresser… par Poindexter, qu’on pensait hors d’état de nuire, tandis que Wilson Fisk, alias Le Caïd, tente de se faire élire maire… alors qu’on le croyait en prison… Il repart en lutte contre les « vigilantes », à savoir tous ces gens qui, du Punisher à Daredevil, mettent les méchants hors d’état de nuire.
Et là, on se dit : « OK… Ils sont paumés. Ils veulent rebooter, mais ne savent pas trop quoi faire de l’héritage Netflix, parce que les acteurs étaient appréciés et la série n’était pas mauvaise. » Et ça sent la sortie de piste : les quelques effets spéciaux du premier épisode sont vraiment sales, et Daredevil semble voler de toit en toit comme dans un travail de première année en animation à l’école des Gobelins. Et ne voilà-t-il pas que, moins de deux épisodes après, hop, on nous rebalance le Punisher… de retour lui aussi d’outre-tombe. De quoi créer un très, très mauvais a priori. Oui… mais en fait non.
Est-ce que les scénaristes se sont réveillés après les épisodes inauguraux ou tout cela était-il prémédité ? On ne le saura sans doute jamais… Mais les briques du puzzle de ce qu’on croyait être un reboot pataud commencent à s’assembler au fil des épisodes, et tout s’agence de mieux en mieux. Charlie Cox a l’air moins vieux sous ses lunettes rouges de mal-voyant, dès le second épisode. De nouveaux personnages font leur apparition, et même Wilson Fisk/Vincent D’Onofrio commence à sembler un peu différent de celui de l’époque Netflix, plus « humain »; ce qui réinjecte un peu d’intérêt à l’ensemble des personnages.
N.B : Autre élément important pour ceux qui, comme nous, ont bêtement enchaîné les saisons Netflix et la saison Disney : il est important, pour une meilleure continuité de l’univers du New York de Daredevil, de faire un détour par les deux saisons dédiées uniquement au Punisher héritées de Netflix. Certaines des clés du démarrage de Born again s’y trouvent. Pas toutes.
Servons-nous de D’Onofrio / le Caïd pour tenter d’expliquer sans trop en dire comment fonctionne le puzzle qui prend forme au fil de la saison 1 de Daredevil: Born Again. Dans les saisons Netflix, Fisk a des sentiments un peu caricaturaux de « vilain » des comics Marvel. D’Onofrio rend l’anti-héros efficace, mais joue très on/off, sans nuances. En gros, il est très amoureux, très en colère ou très agressif. C’était le jeu de D’Onofrio plus que le scénario lui-même qui créait une réelle épaisseur dans l’histoire du personnage. Les scénaristes de la nouvelle saison étoffent ses facettes psychologiques. Dans Born Again, on se rend vite compte que sa relation avec Vanessa, sa femme, est très différente de ce qu’elle était par le passé. Cela le fait réfléchir. Il est déstabilisé, et l’acteur rend ce trouble à la perfection. Même chose pour Vanessa : elle n’est plus seulement la femme glaciale, caricature malsaine éprise d’un patron mafieux puissant. Ici, on apprend qu’elle a dû se réinventer en caïd à la place du caïd pendant les années de fuite de son mari, le Kingpin, à la fin du dernier épisode de la saison 3 Netflix. Dès lors, le personnage de Wilson Fisk est ici toujours représenté comme se démenant sur le fil de la déstabilisation. Sa conquête du pouvoir est plus politicienne et plus subtile aussi que l’ascencion de comic book des trois premières saison. Le personnage gagne en intensité, D’Onofrio a plus de place pour imprimer sa patte. Et ce qui vaut pour Wilson Fisk vaut aussi pour la plupart des personnages principaux. Tous me semblent gagner en épaisseur, psychologiquement.
Du point de vue du scénario, petit à petit, ce qui semblait d’abord être un simple reboot pataud tenu par de très très grosses ficelles se révèle être une évolution digne de ce qui fait les bons plot twists dans les comics en version papier, notamment quand il s’agit réanimer de loin en loin des méchants « vendeurs de fascicules hebdomadaires ». On comprend ainsi au fil de la saison que ce qui avait tout l’air d’une incohérence scénaristique (comment Fisk, qui semblait aller en prison à la fin de l’épisode 3, peut-il se présenter comme maire de la ville au début de Born Again ?) n’en est pas une. On réalise peu à peu pourquoi sa relation avec sa femme a changé, ce que cela implique pour le déroulement du scénario et son rôle de maire… Jusqu’à la clarification totale avec le « season finale ». On sait tout de ce qui a pu ramener Fisk sur le devant de la scène, comment tout ce petit monde s’y est pris, etc., comment s’agencent les nouveaux liens au sein du couple et la répartition de la « méchanceté ».
Passés les deux premiers épisodes, la série redevient l’une des plus captivantes de l’univers Marvel chez Disney. (Bon pour ceux qui n’aiment pas les Marvel, il vaut mieux passer son chemin, cette série n’est pas pour eux, c’est du pur jus). L’ensemble est aussi réaliste que dans les comics, c’est-à-dire pas réaliste du tout, mais jamais fainéant en termes de ressort narratif, comme on pouvait le supposer, narquois, en démarrant l’épisode 1. On est face à un bon « run » de comics transposé en objet télévisuel. Il est plaisant d’avoir été détrompés dans nos certitudes initiales par ce Born Again efficace, sans être du tout révolutionnaire. La série joue de ce ressort à plein tube… Et arrive à ramener comme un concentré des saisons 1 à 3 dans ce mélange de redémarrage pour les nouveaux arrivants et de perpétuation pour les autres. Pas vraiment besoin d’avoir vu l’historique, mais ceux qui l’ont regardé seront encore plus captivés. « Perpétuation » est d’ailleurs le mot qui convient : le héros n’est pas trahi par les dix ans que Charlie Cox ajoute au personnage qu’il incarne depuis 2015 (on ne le sent un peu rouillé que dans l’épisode 1 de cette nouvelle saison), ou par son « changement de crémerie ». Il doit y avoir eu certaines exigences de Mickey au cahier des charges, mais elles ne sont pas flagrantes (ah si, parler subtilement de Kamala Khan, autre héroïne Disney qui a eu la faveur de sa série Miss Marvel pour les jeunes). C’est l’une des grandes idées clairvoyantes de cette franchise que semble avoir eues Disney : faire passer les pouvoirs super-héroïques quasi au second plan sous une histoire de mafia, qui accroche le spectateur.
On a presque hâte, du coup, de découvrir dans une saison 5 déjà annoncée, si le couple Fisk va arriver à trouver un terrain d’entente pour régner sur le milieu de New York; si Poindexter va recroiser Daredevil, si Frank Castle, le Punisher, va encore ne pas mourir, et si Karen Page va encore faire son Clark Kent en reporter apparemment sans lien avec les héros pour le New York Bulletin. Voici assurément la seule série « long run » Marvel qui ne déçoit toujours pas au bout de quatre saisons, si on est prêt, bien sûr, à la regarder comme une série de genre : ce qu’elle est indubitablement.
Denis Verloes