« Évanouis » de Zach Cregger : la cité des enfants perdus

Conte macabre auscultant une Amérique plongée en plein cauchemar où les vieux réflexes défensifs et protectionnistes (accusation à tort, vindicte populaire, rejet de l’autre, violences policières) resurgissent sans effort, Évanouis laisse à la fois fasciné par sa lente macération dans l’angoisse, et déçu par son improbable dénouement.

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Une semaine pile après Substitution, voici qu’un nouveau film « d’horreur » avec, là aussi, des enfants comme enjeu et motifs narratifs, sort sur nos grands écrans précédé de retours plus qu’élogieux (même s’il faut toujours se méfier : la hype est une notion plus que volatile). Ça s’appelle donc Évanouis (Weapons en version originale, beaucoup plus évocateur et beaucoup plus à propos), et c’est écrit et réalisé par Zach Cregger, responsable de la petite sensation Barbarian sortie en 2022. Imparfait, Barbarian laissait néanmoins entrevoir, dans sa superbe première partie (les deux autres, et la dernière en particulier, étaient beaucoup moins probantes), ce dont Cregger était capable.

À savoir élaborer un suspens et une tension savamment entretenus dans un crescendo de terreur « primitive » (une cave, une porte secrète, un profond escalier, le noir insondable et des cris, ça suffisait bien pour foutre la frousse). Le succès critique de Barbarian a permis à Cregger de se faire courtiser par les studios qui se sont arrachés le scénario d’Évanouis dont l’amorce pourra rappeler Le joueur de flûte de Hamelin (dix-sept enfants d’une même classe disparaissent en pleine nuit, à la même heure, à l’exception d’un seul, comme réveillés et appelés par « quelque chose »). Budget confortable, casting de rêve (Pedro Pascal et Renate Reinsve étaient prévus, finalement remplacés par Josh Brolin et Julia Garner), Cregger est le roi du monde. Il a même droit au « final cut ».

Ambitieux, Cregger construit son scénario, dont il faut dire le moins possible, en mode choral et façon puzzle (il l’a dit : Magnolia a été l’une de ses sources d’inspiration, et puis Shining aussi) en y distillant mystères et peur sourde, scènes rejouées sous différentes perspectives et séquences choc jusqu’à son point de rupture. D’ailleurs ce n’est pas la résolution du pourquoi et du comment qui restera l’atout numéro un d’Évanouis, mais bien le sinueux chemin pour y parvenir. Et parce que Cregger préfère, dans les dernières vingt minutes, tout clarifier et expliciter plutôt que de nous laisser dans une sorte de bouleversement, d’état de choc à la Aranofsky (pourtant il y avait de quoi faire).

À la place on a droit, concernant l’un des personnages-clé du film, à une espèce de pantalonnade totalement ridicule (et hyper clivante puisque beaucoup n’ont rien trouvé à y redire, mais surtout inexplicable : qu’est-ce qui a pris à Cregger de filmer un truc pareil ?) qui se situerait quelque part entre Benny Hill et Tex Avery mâtinés de « gore ». Pour un film censé jouer la carte de la terreur, ça fait tache. Et puis ça vient briser, d’un coup net, toute la tension accumulée pendant une heure et demie (la partie avec le directeur d’école, terrible, ou l’entrée en scène d’un personnage sereinement flippant) et qui avait fini par nous prendre aux tripes, et ça c’était chouette.

Conte macabre (avec ce qu’il faut d’enfants perdus, d’adultes hagards et de

Spoiler
sorcière maléfique
) en banlieue pavillonnaire racontant une Amérique plongée dans le cauchemar d’une menace aveugle où les vieux réflexes défensifs et protectionnistes (accusation à tort, vindicte populaire, rejet de l’autre, violences policières) resurgissent sans effort, Évanouis laisse à la fois fasciné (sa lente macération dans l’angoisse) et déçu (son dénouement), et offre l’une des images les plus marquantes de cette année cinéma. Image de ces enfants, ces « enfants-armes » courant aveuglément dans la nuit, les bras tendus comme s’ils étaient prêts à s’envoler, absorbés par l’indicible et dans les ténèbres.

Michaël Pigé

Évanouis
Film américain réalisé par Zach Cregger
Avec Josh Brolin, Julia Garner, Alden Ehrenreich…
Genre : Épouvante
Durée : 2h08min
Date de sortie : 6 août 2025

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