L’été à Noirmoutier. Venue y rejoindre son amoureux Hugo, Queen ne peut que détonner, avec son allure de « cagole de service », au milieu des fils et filles à papa qui, chaque année, reconstituent, le temps des vacances, la même petite bande. Une réflexion sensible et subtile sur le phénomène d’exclusion et la difficulté à être soi-même sous le regard des autres.

Avec sa silhouette sculpturale moulée dans des tenues sexy, pour ne pas dire vulgaires, ses cheveux peroxydés, ses faux cils et ses ongles strassés de dix centimètres de long, Queen ne peut que détonner à Noirmoutier au milieu des Victoire, Colombe et autres Marie B, et de leur bande de jeunes Parisiens friqués venus investir, comme tous les étés, la résidence secondaire de leurs parents. Si Queen est là, c’est en tant que petite amie d’Hugo, un de ces vacanciers familiers de l’île que le groupe, pourtant, a toujours marginalisé à cause de son surpoids. Mais cet été-là, c’est un Hugo délesté de 30 kgs et accompagné de cet étonnant « avion de chasse » aux allures de « cagole » qu’ils vont retrouver.
L’Épreuve du feu, le premier film d’Aurélien Peyre, est le récit d’un « coming of age » estival. Un de plus ? Oui et non. On y retrouve tous les clichés liés à l’adolescence : les doutes, les maladresses, les enthousiasmes, les rivalités amoureuses, les failles qui se font jour dans le défoulement des fêtes alcoolisées. Et surtout le poids du regard des autres. C’est en cela que le film affirme sa singularité, par l’acuité avec laquelle il révèle la cruauté de certains de ces post-adolescents envers d’autres : l’ostracisme qui autrefois frappait Hugo à cause de ses kilos en trop – peut-être aussi parce qu’il est non pas un « héritier » mais un petit-fils de pêcheur – s’exerce désormais à l’encontre de Queen. Elle attire à elle tous les regards : trop spontanée, trop voyante, trop « nature peinture », bref trop visiblement issue d’un milieu populaire. Esthéticienne, qui plus est…
Mais l’intelligence du réalisateur est de ne pas trop en faire dans les manifestations du rejet de l’intruse. Queen, objet à la fois de mépris et de fascination, va être pour Hugo un facteur d’inclusion avant que ne se manifestent les signes, de plus en violents, de son exclusion. Les membres de la petite bande, rassemblés autour des valeurs communes à leur culture bourgeoise, forts de leur « bon goût », fiers de leurs passe-temps de gosses de riches, voient en elle une bête curieuse qui les amuse par son absence de filtres, mais qui est porteuse aussi d’une forme d’authenticité et de liberté à laquelle, sans forcément se l’avouer, ils ne sont pas insensibles.
C’est avec beaucoup de finesse que L’épreuve du feu explore le phénomène de groupe et son fonctionnement. Entre leaders, suiveurs, esprits indépendants, se dessinent peu à peu des personnalités différentes, proches sans doute par leur origine sociale et la maîtrise des codes qui la caractérisent, mais clairement individualisées. Beaucoup de nuances aussi dans l’analyse des désirs contradictoires d’Hugo, superbement incarné dans toute sa fragilité adolescente par Félix Lefebvre. Devenu « beau gosse » au prix d’une discipline de fer, mais à jamais marqué par la honte de son corps et le rejet qu’il lui a longtemps valu, le voici à présent déchiré entre la condamnation narquoise qu’il perçoit dans le regard des autres et le bonheur simple qu’il vit aux côtés de Queen. Prêt à tout, cependant, pour être adoubé par ses prestigieux camarades – même s’il doit un peu jouer des coudes pour trouver sa place sur leur bateau – il est pourtant conscient, comme Kamil, son seul véritable ami, que cela ne suffit pas pour être vraiment des leurs.
Mais c’est la personnalité solaire de Queen qui illumine le film. Si elle est le stéréotype de « la cagole de service » comme elle le dit elle-même, elle possède une forme d’innocence, une intelligence du cœur, une bonne humeur et un sens de l’auto-dérision qui forcent la sympathie. On trouve chez elle cette absence de calcul qui fait défaut aux autres et une fragilité que dissimule mal son exubérance. Anja Verderosa lui donne une magnifique présence qui , loin de tout manichéisme, met subtilement en évidence à la fois ce qui la rapproche et ce qui la sépare d’Hugo.
Histoire d’une initiation comme son titre le laisse entendre, L’Épreuve du feu séduit par la proximité qu’il fait naître entre les personnages et nous. Et si le film n’est pas exempt de faiblesses – la fin, notamment, quelque peu simpliste – il parvient, à partir d’une sujet rebattu, à affirmer sa singularité. On ne peut qu’être sensible à la justesse du regard que porte Aurélien Peyre sur cette relation amoureuse pleine de sincérité et de douceur, qui se voit d’emblée menacée par le monde extérieur. En effet, dans ce film sans adultes, les adultes sont présents de la pire des façons, à travers la cruauté de ces jeunes gens qui, ayant hérité de bien des préjugés, en viennent à faire de L’Épreuve du feu un conte désenchanté.
Anne Randon
L’ Épreuve du feu
Film français d’Aurélien Peyre
Avec Félix Lefebvre, Anja, Verderosa, Victor Bonnel, Suzanne Jouannet…
Genre : comédie dramatique
Durée : 1h45
Sortie en salle : le 13 août 2025