[Netflix] « Pssica » : Cidade de Deus no Pará

Entre flamboyance visuelle et noirceur suffocante, Fernando et Quico Meirelles réalisent avec la mini-série Pssica un thriller haletant, fascinant et inconfortable, qui divise critiques et spectateurs, au Brésil comme ailleurs.

Pssica
Copyright Diego Formiga/Netflix

Grand passionné du Brésil, mon « pays de cœur », je pose souvent à mes amis la devinette suivante : « Quel est le pays avec lequel la France partage la plus grande frontière ? ». 99% des gens répondent soit l’Espagne, soit l’Allemagne, et peu de gens savent qu’il s’agit bien en fait du Brésil. Et que le problème de la porosité de cette frontière entre la Guyanne Française et le géant d’Amérique du Sud est un grave souci pour le gouvernement français. Dans Pssica, la dernière mini-série brésilienne de chez Netflix, qui rencontre un beau succès mondial, c’est la contrebande de jeunes filles brésiliennes, importées pour alimenter en chair fraîche les bordels de Cayenne, qui sert de point de départ à la fiction, et c’est une bonne chose de nous rappeler qu’il s’en passe, des choses pas trop belles, sur ce coin isolé de la France qui ne fait guère l’actualité chez nous…

Pssica affiche… Même si, bien sûr, Pssica s’attache principalement au côté « brésilien » du trafic, en suivant la trajectoire d’une adolescente de Belém, Janalice, qui, pour une vidéo sexuelle compromettante, va être abandonnée par sa famille, et tomber dans les griffes de trafiquants, affiliés à des « rats des rivières », gangs de voyous écumant les flots de l’Amazonie pour piller les embarcations livrant du matériel électronique aux villes situées le long du fleuve. Malheureusement et heureusement pour elle, Janalice est particulièrement belle, et sa beauté suscite la convoitise des criminels, mais lui attache aussi les « services » de personnes prêtes à tout pour la sauver. Et sa route va heureusement croiser celle de Mariangel, ex-membre des FARC colombienne réfugiée au Brésil, qui a pourtant juré de renoncer aux armes et à la violence.

Adaptée d’un court roman d’Edyr Augusto, Pssica plonge dans les eaux troubles de Belém et de l’île de Marajó, dans l’état du Nord du Brésil, le Pará, pas très loin de la frontière guyanaise, et, même s’ils n’en sont pas les créateurs, porte la signature forte de Fernando Mereilles, le réalisateur du célébrissime – mais discutable – Cidade de Deus (la Cité de Dieu pour les Français), et de son fils Quico.

Comme dans le film-phare de Mereilles, se pose avec Pssica la question difficile de l’esthétisation d’une violence réelle, sa « merchandisation » : soit un problème que génère régulièrement la politique Netflix, jamais en reste pour exploiter les horreurs sociétales, les habiller en fictions attrayantes et les vendre à travers le monde. C’est d’ailleurs un procès qui a été fait à Pssica, au Brésil même : la révélation de faits réels horrifiques, est-elle compatible avec l’esthétique colorée, chatoyante, et l’énergie vitale – deux éléments très présents dans la culture brésilienne – qui caractérisent la série (… et en font une grande partie de son charme) ?

Evidemment, la première qualité de Pssica, au delà de sa tension permanente de thriller, où une multitude de personnages aux projets peu compatibles s’affrontent et d’entretuent sur les eaux des rivières de l’Amazonie ou dans un bordel de Cayenne (ville, où, il faut le dire, aucune scène n’a été tournée, l’intégralité du filmage ayant eu lieu au Pará), est bien de mettre en scène une Amazonie peu vue à l’écran : celle des ports louches, des ruelles surchauffées de Belém, des villages précaires sur pilotis. Et ici, en dépit des couleurs vives, de la musique entraînante, de la vitalité de la culture brésilienne, les fleuves ne sont pas des décors pittoresques, mais des « routes » où circulent trafics en tous genres, corps de femmes vendus et exploitées, et destinées horriblement brisées.

On peut déplorer certains choix de mise en scène, originaux, mais allant finalement « contre » le réalisme choquant et de l’histoire racontée et de nombreuses scènes littéralement sans concession : les inserts de phrases apportant un commentaire décalé, parfois ironique, sur l’action, le montage frénétique pratiquant l’alternance exagérée de plans appartenant à deux actions différentes mais survenant en parallèle, sont des techniques qui font du sens, mais tendent aussi à un maniérisme dont Pssica n’avait nul besoin.

On appréciera par contre certaines réactions outrées chez nos amis Anglo-saxons pudibonds : alors que Pssica ne s’aventure jamais dans une représentation frontale des violences sexuelles (on est dans une production Netflix destinée à être vue dans le monde entier, on ne prend aucun risque), nombre de critiques ont trouvé la série trop excessive dans sa dénonciation des viols systématiques et de l’intégration de la prostitution – ici, forcée – dans la manière dont le pouvoir (criminel, mais aussi politique) abuse de sa force. Si Pssica, en dépit de la « pudeur » de ses images, dérange par la brutalité de son récit, et fait souvent « suffoquer » le téléspectateur par sa noirceur et sa radicalité, c’est bien que la mini-série fonctionne.

Et est utile, en plus d’être passionnante.

Eric Debarnot

Pssica
Mini-série brésilienne de Stephanie Degreas, Fernando Garrido, et Bráulio Mantovani
Dirigée par Fernando et Quico Mereilles
Avec : Domithila Cattete, Lucas Galvino, Marleyda Soto, Sandro Guerra, Matthew Parham
Genre : thriller, drame
4 épisodes de 50 minutes mis en ligne (Netflix) le 20 août 2025

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