Nathacha Appanah raconte trois histoires d’emprise, dont la sienne, dans La nuit au coeur. Cela donne un texte poignant et plein de sincérité, qui part aussi de son vécu et dans lequel chaque mot est choisi avec précaution.

Une grande partie de ce livre émerge lorsque Nathacha Appanah découvre le féminicide de Chahinez Daoud en mai 2021 non loin de Bordeaux. Elle se rend compte que cet événement fait ressortir chez elle une relation passée d’emprise, une relation qui fait écho au drame. L’assassinat de Chahinez Daoud se passe non loin de chez elle et renforce les liens qu’elle commence à créer avec cet évènement. Un second féminicide resurgit aussi lorsque l’autrice repense à son passé. Il s’agit de celui de sa cousine Emma.
En partant de ces trois histoires, dont la sienne, Nathacha Appanah écrit un texte fort sur les violences faites aux femmes et tous les mécanismes qui dans la société ne permettent pas qu’elles soient protégées ou entendues malgré les plaintes déposées notamment. Elle décortique avec beaucoup de justesse le phénomène d’emprise dans le couple et les raisons pour lesquelles il est si difficile pour une femme de s’en extraire. Il ne suffit pas de porter un regard extérieur en disant simplement que la personne doit oublier, partir ou aller à la police. Les mécanismes sont bien plus pernicieux. C’est la condition de ces femmes qui est mise en évidence, leurs solitudes face à cette emprise et c’est toute la force de La nuit au cœur de rendre tout cela visible. Les six années d’emprise ont été une épreuve pour l’autrice qui ressent avec encore plus d’acuité ce qu’aurait pu ressentir Chahinez ou Emma sa cousine.
Il est aussi question en sous texte du sens que cela représente pour elle de prendre la plume pour écrire sur ces sujets. Pour quelle raison écrire ? Pour redonner du sens à ce qu’il s’est passé, pour retisser la vie de ces femmes sans les résumer au drame. La romancière ébauche des réponses sans donner de réponse toute faite. L’écriture brasse de nombreuses questions.
Il y a comme un sentiment d’urgence dans ce livre qui une fois que la romancière l’a débuté, se déroule sur les pages. C’est difficile pour elle mais c’est une nécessité, elle l’explique très bien. L’écriture permet d’être au plus près du féminicide en restituant ce qu’il s’est passé sans détour, sans omettre les derniers instants de vie de ces femmes. Une autre façon pour l’autrice de leur restituer une humanité que les médias (entre autres) gomment. Emma avait une vie de famille et des projets, Chahinez avait construit son foyer dans la région bordelaise et avait apporté un soin tout particulier à l’emménagement de son logement pour que ses enfants se sentent bien. Tout cela malgré l’emprise, tout cela malgré les violences et les intimidations silencieuses de leurs conjoints au quotidien.
On retrouve des thèmes qui lui sont chères comme lorsqu’elle évoque ses fantômes ou des passages autour de la mémoire et de la transmission. Avec La nuit au cœur, Nathacha Appanah livre un texte en grande partie autobiographique. Elle est directement concernée dans un de ses récits d’emprise ce qui lui permet de tisser une réflexion dense en partant de son vécu. Difficile d’ailleurs de trouver les mots justes pour restituer toutes les nuances d’un tel texte. Poignant.
Sébastien Paley