Troisième Kiyoshi Kurosawa de sa prolifique année 2024, La Voie du serpent est le remake sur sol français de l’un de ses films de la fin des années 1990. Pour un résultat pas convaincant, comme très souvent lorsque des cinéastes asiatiques tournent dans l’hexagone.
Sorti en 1998 au Japon, Le Chemin du serpent a une spécificité par rapport aux films qui feront connaître Kiyoshi Kurosawa en Occident à cette période : le cinéaste ne participe pas à l’écriture du scénario. Seul Hiroshi Takahashi, scénariste adaptant la même année le roman Ring pour Hideo Nakata avec le succès que l’on sait, s’en charge.
Dans le film, Nijima (dont le scénario révèle vite l’inattendue profession) aide un de ses amis ex-yakuzas Miyashita à se venger du viol et du meurtre de sa fille, victime d’un snuff movie. Ensemble, ils kidnappent plusieurs gangsters et les enferment dans un entrepôt désaffecté pour les torturer.
La part de grotesque et d’absurde autour du thème du cercle infernal de la vengeance et les twists pourraient faire (en partie bien sûr) du film un grand-frère fauché de Sympathy for Mister Vengeance. Les deux films partageant d’ailleurs une part d’influence kitanienne. Le Chemin du serpent a depuis gagné un petit statut culte. Mais un élément de dispositif pénible, pas loin de Haneke, gâchait l’appréciation de sa narration bien menée : la répétition du moment de diffusion de la cassette dont la voix off décrit en détail l’horreur du crime.
Approché récemment par des producteurs français pour savoir lequel de ses films il remakerait dans l’hexagone, Kiyoshi Kurosawa propose ce projet, qui deviendra La Voie du serpent, son troisième long métrage de 2024. Pour cette deuxième incursion française après Le Secret de la chambre noire, le cinéaste scénarise cette fois, en collaboration avec Aurélien Ferenczi.
L’autoremake a été pratiqué au cinéma de façon plus (L’Homme qui en savait trop) ou moins (le The Killer parisien de John Woo) heureuse. Dans la version parisienne, Miyashita devient Albert Bacheret (Damien Bonnard). La Mafia nipponne est remplacée par le Cercle, une société secrète. Un remplacement qui fait plus artificiel, préfabriqué que l’univers gangstérien de la version 1998.
Mais les changements majeurs se situent autour de Nijima, remplacé par la psychiatre japonaise installée en France Sayoko (Kô Shibasaki, surtout connue en Occident pour Battle Royale). Son attitude glacée contraste fortement avec l’incapacité d’Albert à masquer ses émotions.
De plus, là où les passages sur la vie quotidienne de Nijima suggéraient par petites touches des indications sur les raisons de sa participation, ceux sur la vie intime et professionnelle de Sayoko n’en fournissent pas. Les motivations sont opaques et le twist final devient un pur effet coup de théâtre. On peut préférer le parti pris de l’original.
De même que l’on peut préférer le côté plus retenu du casting de l’original à l’expressivité forcée de Bonnard, Grégoire Colin et Mathieu Amalric. Surtout, avec 27 minutes supplémentaires, le film rallonge de façon forcée l’original. La rallonge n’est pas due à une structure narrative reprise à l’identique, mais en majorité à des scènes de kidnapping/torture de plus longue durée. Le côté resserré plaisant d’une version 1998 enchaînant les péripéties sur une durée de Série B américaine des années 1950 est perdu.
Sur ses trois films de 2024, Kiyoshi Kurosawa n’aura visé juste qu’une seule fois, avec Chime. Mais après tout, un peu comme pour Johnnie To à la même époque, le stakhanovisme du cinéaste à la fin des années 1990 comportait déjà pas mal de scories. Et le caractère souvent raté des tentatives françaises de cinéastes asiatiques poussera à l’indulgence.
Ordell Robbie.