Ils se sont toujours présentés comme « le meilleur groupe (sous-entendu de Rock) du monde », sans que l’on sache s’ils plaisantent ou s’ils y croient vraiment. Trente ans après leurs débuts, The Hives continuent de tenir ce rôle avec un aplomb réjouissant. Et le plus drôle, c’est que leurs albums deviennent de plus en plus convaincants !

J’ai une théorie, que je défends à la moindre occasion, qui est que le Rock peut être scindé proprement en deux catégories : les groupes qui font des disques géniaux, et les groupes qui donnent des concerts fabuleux. Avec très peu de groupes ou d’artistes qui peuvent faire les deux, comme s’il s’agissait d’un métier différent, d’un talent différent, d’un « câblage » différent. Dans le cas des Hives, archétype parfait du groupe « punk forever », sur lequel les années ne semblent avoir aucune prise, leur époustouflante maîtrise de la scène nous a toujours dispensés de nous plaindre de leurs albums, qui n’ont jamais atteint la même excellence, et qui étaient surtout un réservoir de titres dont on savait qu’ils iraient révéler leur véritable magie sur scène, et seulement sur scène.
C’est peut-être avec The Death of Randy Fitzsimmons, en 2023, qu’il y a eu une inflexion dans l’approche des Hives – qui étaient d’ailleurs restés 11 ans sans travailler en studio, se contentant d’écumer toutes les scènes du monde, rencontrant un succès de plus en plus grand : peut-être que Howlin’ Pelle Almqvist, le chanteur / Mr. Loyal du grand cirque des Hives, et Nicholaus Arson, l’impressionnant et hilarant lead guitariste du groupe, se sont dit que ce serait bien de laisser dans l’histoire du Rock (tendance punk rock / garage) une trace un peu plus « matérielle » que des souvenirs enchantés dans les mémoires de milliers de spectateurs de leurs shows. L’album fut plutôt mieux accueilli par la presse que ses prédécesseurs, et du coup, sans attendre dix ans, mais seulement deux, voici que leur successeur (The Hives Forever Forever The Hives) est là pour enfoncer ce nouveau clou : on ne rigole plus, les Hives ont décidé de nous pondre de nouveaux classiques du punk rock. Et si l’on en croit la réaction à proprement parle délirante d’enthousiasme de la presse anglo-saxonne, enfin ouverte à des musiques qui ne sortent pas du Royaume-Uni ou des States, ça marche !
Onze titres (+ deux courtes intros / interludes) pour 33 minutes de furie punk quasiment ininterrompue : ce nouvel album est sans doute le disque le plus « frontal » qu’ils nous aient offert depuis Veni Vidi Vicious (1999). Car si, à l’heure où beaucoup de vieux groupes se content de passer relever les compteurs en vivant sur leur gloire passée (hein, Noel et Liam, vous qui ne donnez même pas la peine de sortir la moindre nouvelle chansons avant de venir piquer le fric dans la poche de vos fans ?), les Suédois continuent d’embrasser, non de déployer encore plus loin, leur chaos rigolard avec panache et avec classe. On notera avec plaisir que l’album a pu compter avec la collaboration de Mike D (des Beastie Boys) et de notre Josh Homme d’amour, ce qui pose quand même une image de travail « sérieux » derrière l’habituelle fantaisie du groupe.
Et on remarquera que les textes de certaines chansons – même si les paroles ne sont pas ce que l’on écoute en premier avec eux – brandissent plus clairement que jamais un rejet sincère de nombre de travers actuels. La tuerie d’ouverture, Enough Is Enough, est un manifeste rageur contre la résignation quotidienne déguisé en punk song féroce, alors que Legalize Living, l’une des chansons les plus immédiatement mémorisables – on remarque une petite citation d’un riff bien connu de The Cure – dissimule (mal) derrière l’apparente légèreté de son slogan, une critique des diktats contemporains : oui, la fête avec les Hives est aussi un geste politique. L’hystérique et radical OCDOD montre que les Hives peuvent aussi être méchants – une facette finalement peu exploitée à date de leur talent.
Born A Rebel est une hymne clairement taillée pour les stades de plus en plus grands (malheureusement…) que remplissent désormais les Suédois : tant pis, on sera heureux de la brailler en chœur avec eux, même si on est des milliers à faire ça (« I got a few enhancements to the Ten Commandments« , ce genre de choses !). Et à la fin, Path of Most Resistance rappelle que, quand il s’agit de composer des choses un peu moins punks, des mini-hymnes « pop » dans un registre que Kasabian ne renierait pas, The Hives savent s’y prendre aussi pour nous séduire. Et l’ample et généreuse conclusion The Hives Forever Forever The Hives est une pure merveille « feel good », qui a pour (modeste, et parodique) ambition de graver éternellement dans le granite le nom de ce groupe qui nous fait tant de bien, décennie après décennie, se riant du passage du temps.
En fait, The Hives Forever Forever The Hives n’est pas seulement un excellent disque punk : c’est la déclaration (de guerre, d’intention…) d’un groupe qui, derrière ses blagues, prend finalement le rock plus au sérieux que beaucoup de ses pairs qui tirent la gueule sur les photos ou posent aux intellos profonds : bien sûr, le punk n’est (toujours) pas mort, et il vivra tant tant qu’il restera capable de se moquer de lui-même, tout en préservant intacte sa rage. Et il y a finalement très, très peu de groupes capables de conjuguer second et premier degrés dans une formule aussi imparable : c’est ça « l’Art précieux des Hives« .
Eric Debarnot
The Hives – The Hives Forever Forever The Hives
Label : Play It Again Sam
Date de sortie : 29 août 2025