« Exit 8 » de Genki Kawamura : Moebius dans le métro

Adaptation très fidèle d’un jeu à succès, Exit 8 exploite remarquablement bien le concept fort de celui-ci sous la forme cinématographique, pour une expérience immersive très réussie. Reste qu’on peut aimer ou non le cadre scénaristique ajouté au concept de base.

Exit 8
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Pour les non adeptes aux jeux vidéos, il n’est évidemment pas inutile d’expliquer qu’Exit 8, créé par la maison Kotake Create, a été un énorme succès tant commercial que critique, au point que son adaptation cinématographique, surtout au vu de son principe visuellement très fort, a dû être une évidence. Le jeu place le joueur dans un couloir de métro presque vide (le « presque » est important…) en forme de Ruban de Moebius, dont il doit s’échapper en gagnant la « sortie 8 » grâce à ses capacités d’observation, mais également de jugement, en suivant des règles à la fois très simples et contre-intuitives. Sa résolution est, paraît-il, rapide, mais le pouvoir de fascination de ce « walking simulator », mêlant intelligemment psychologie et horreur (légère, l’horreur) s’est avéré irrésistible.

Exit 8 afficheLe passage du jeu au cinéma a donc été aussi « évident » que complexe. Evident, car Genki Kawamura et son équipe n’ont eu qu’à reprendre à l’identique les codes visuels – remarquables – du jeu (ce fameux « espace liminal » du couloir de métro blanc, qui nous est familier à tous mais devient peu à peu terrifiant), et qu’il est relativement aisé de faire participer un spectateur inactif – à la différence du joueur – à un processus qui défie ses capacités d’observation. Et sur ces points, rien à dire, Exit 8 – le film – est une réussite complète, générant aussi bien de l’intérêt (réussirons-nous à identifier mieux ou moins bien que le protagoniste du film ces fameuses « anomalies » ?) que de l’angoisse (l’enfermement absurde dans un environnement changeant et la répétition incessante du même s’avérant extrêmement efficaces).

Le problème, et c’est là la limite du travail de Kawamura, a été la « nécessité » d’étendre le film à un format classique de long-métrage d’une heure et demie (notons d’ailleurs que sur une heure quinze, le film aurait certainement gagné en efficacité, en impact). Pour cela, les scénaristes ont décidé de rajouter une introduction, présentant le personnage, voyageant dans le métro et confronté à deux situations révélant son manque de courage, sa même indécision devant des choix d’importance pourtant bien différente : d’un côté, il est témoin du harcèlement d’une jeune mère par un passager irrité des pleurs de son bébé – il n’interviendra pas ; de l’autre, la femme qu’il vient de quitter l’appelle pour lui dire qu’elle est enceinte de lui, et qu’elle aimerait qu’il l’aide à prendre sa décision quant au fait de garder ou non l’enfant.

Il est clair que l’ajout dans le concept abstrait d’Exit 8 d’une « histoire personnelle » et d’un conflit psychologique chez le « Lost Man » (l’homme perdu) change la nature profonde du film, transformant l’angoisse existentielle du protagoniste en une crainte devant le changement, mêlée au poids des répétitions insensées inhérentes à la vie quotidienne, et résulte en une construction métaphorique beaucoup plus « évidente », beaucoup moins originale ; certains spectateurs apprécieront cette addition d’un « sens », d’autres déploreront que l’on détruise ainsi la « pureté du concept ». Et ce d’autant qu’une scène ajoutée, où l’on voit le « héros » projeté dans un futur de sa potentielle paternité, s’avèrent quand même des plus stéréotypées, du point de vue « morale conventionnelle ».

L’utilisation d’un recentrage occasionnel du film sur des personnages « secondaires » pour briser la monotonie potentielle du procédé n’est pas non plus une très bonne idée, puisqu’elle introduit surtout une confusion inutile dans « la fiction ». Quant aux aspects « horrifiques » du film, leur appréciation dépendra du goût de chacun : on pourra se plaindre de leur existence, inutile et rappelant des choses déjà vues et revues (on peut relever une parenté avec le Shining de Kubrick,… mais comment y échapper ?), ou au contraire regretter qu’il n’y en ait pas plus pour rompre « l’exécution du jeu ».

Mais, de toute manière, Exit 8 est un film singulier, une expérience originale et dérangeante de tension et d’angoisse, que nul cinéphile ne devrait se refuser.

Eric Debarnot

Exit 8
Film japonais de Genki Kawamura
Avec : Kazunari Ninomiya, Yamato Kôchi, Naru Asanuma
Genre : science-fiction, épouvante
Durée : 1h35
Date de sortie en salles : 3 septembre 2025

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