Depuis les albums Eingelberg et Carcassonne, Stephan Eicher fait désormais partie du paysage sans compter une allure et une voix reconnaissables entre toutes, familières pour tout dire. Alors que l’artiste tourne actuellement en France et en Suisse avant trois dates à l’Olympia en février 2026, Sébastien Bataille lui consacre une première biographie en version chronologique, tradition helvétique oblige !

Préfacé par Rodolphe Burger, l’ouvrage dévoile un artiste singulier se baladant durant des années au gré des hôtels et des studios, d’une scène et d’une langue à l’autre. Par delà les frontières, en mouvement à l’image de son périple depuis son pays natal au monde entier, au fil des tournées, avec une longue halte sous le soleil de Camargue. Pas commun un Suisse payant ses impôts en France d’ailleurs…Un voyage que l’on ne peut résumer aux années 90 avec ce défilé de tubes que sont Déjeuner en Paix ou Des Hauts Des Bas, parmi tant d’autres…Au passage, le natif de Münchenbuschee n’oublie jamais sa montagne au point d’en plaisanter en mode private joke avec ses camarades de scène… devant le public qui à vrai dire ne capte pas grand chose des us et coutumes des Alpes suisses comme je le vis une fois en concert !
Dès les premières lignes s’impose la singularité d’un univers familial marqué par la culture yéniche, un peuple dit “du voyage”, avec un père qui fabriquait ses instruments de musique folklorique et des synthés rustiques. Dans sa jeunesse plus musicale que scolaire, Eicher tombe sous le charme de Jesus Meine Freude de Johann Sebastien Bach, joué sur l’orgue d’une jolie église à Meiringen. La musique sera donc sa vie. Plus tard, en promenade dans le cimetière, il remarqua l’âge des gens sur les pierres tombales avec un froid dans le dos : « ça m’a donné envie de partir »… Commence alors un vagabondage sensible en mode tabula rasa à l’occasion, puisque ce caractère abandonne souvent sa zone de confort quelquefois à ses dépens. Car le montagnard ne triche pas et garde ses distances. Insaisissable en tout ?
Avec une quinzaine de photographies bien choisies, le livre fourmille d’anecdotes sur le parcours de l’artiste au fil de ses amitiés. Et de rencontres décisives comme celle de Martin Hess, son mentor et manager qui flaire rapidement le potentiel de l’artiste avant de lui faire tenter l’aventure en France. Les témoignages, comme ceux d’Alain Lahana, Antoine de Caunes et de Manu Katché, accompagnent quelques entretiens avec Sébastien Bataille. Bien évidemment, la relation avec l’écrivain Philippe Djian est évoquée tout au long de l’ouvrage. A l’oeuvre depuis des années, cette collaboration donne naissance à des petits bijoux à fleur de peau, telles que la chanson Autour de ton cou, enregistrée en Camargue avec le pianiste et camarade Reyn Ouwehand.
L’Helvète underground est aussi un enfant du rock, le jeune homme se collant ainsi les disques Transformer et Horses entre les deux oreilles… Lou Reed et Patti Smith des artistes électriques aux textes ciselés….Avant de faire ses débuts dans le punk électronique avec ses guitares et ses machines dans le groupe Noise Boys. Avec son frère Martin, fan de Kraftwerk, Grauzone vendit très bien son album en Allemagne et en Autriche. Parti ensuite à la conquête de la France avec un premier album (Les chansons bleues), les étoiles s’alignent rapidement avec quelques succès – dont le très chouette Two People In A Room. Avant la Eichermania des années 1990, portée par deux disques superbement calibrés en compagnie de Manu Katché et Pino Palladino (et tant d’autres musiciens…) et le producteur Dominique Blanc-Francard. Mais cet épisode célèbre date désormais bel et bien, puisque l’abondante discographie de l’artiste prouve encore sa créativité aventureuse tant dans ses disques solo que ses collaborations multiples.
Sébastien Bataille relate aussi quelques mésaventures avec la gueule de bois qui suivit lors du flop tout relatif de l’album 1000 Vies, avec de moindres ventes et l’annulation de la tournée des grandes salles… En fin connaisseur, l’auteur a le mérite de livrer un avis sans complaisance sur quelques “ratages” quand l’artiste perd quelquefois de son charme dans certains albums, tels que Taxi Europa, étrillé en quelques lignes bien senties. Car, selon l’auteur, le voyage finit quelquefois « en cale sèche ». Autre déconvenue cuisante, son conflit avec Barclay/Universal est évoqué, Stephan Eicher perdant alors son plumage dans l’affaire pour des questions de rémunération. Le Suisse s’amuse à raconter qu’à cette époque, il ne portait plus sa fameuse boucle d’oreille yéniche, qui lui aurait été bien utile à l’occasion comme une sorte de porte bonheur : « une connerie, autrement j’aurais gagné ! » On ne se refait pas…
Sebastien Bataille permet donc de saisir le parcours complexe d’un artiste en perpétuel crossover. Bien loin de se cantonner dans une ornière commerciale, Stephan Eicher s’aventure encore dans un univers très singulier au fil de ses rencontres. Une belle ballade européenne avec ce qu’il faut d »élégance et de mystère.
Amaury de Lauzanne