Conte cruel s’inscrivant dans la démarche autobiographique d’Amélie Nothomb, « Tant mieux » retrace la vie de sa mère, Adrienne, depuis ses quatre ans jusqu’à son entrée dans l’âge adulte. Une histoire marquée par la violence du monde adulte, en même temps que l’émouvante déclaration d’amour que l’autrice adresse à sa mère, un an après sa mort.

Avec Tant mieux, Amélie Nothomb ajoute une pierre à l’édifice autobiographique qu’elle a commencé à bâtir dès 1993 avec Sabotage amoureux. Mais c’est plutôt de Premier Sang qu’il convient de le rapprocher : après le livre du père, le livre de la mère. Un conte cruel situé à Bruxelles, ville crépusculaire qu’éclairent de rares trouées d’amour. L’héroïne en est une petite fille prénommée Adrienne qui, pour rendre supportable la violence des « grandes personnes », s’est inventé une arme secrète : cette formule magique, affirmation définitive d’optimisme qui donne son titre au roman : Tant mieux.
Derrière ce prénom, Adrienne, se dissimule, nous l’apprendrons plus tard, la mère de la romancière. Nous la découvrons, à quatre ans, en 1942, confiée pour l’été à sa bien mal nommée « bonne-maman de Gand ». Autoritaire et acariâtre, cette « exacte réplique de la méchante reine dans Blanche-Neige », l’enferme à double tour dans une chambre insalubre, l’oblige à avaler des harengs vinaigrés au petit déjeuner et lui donne pour tout jouet une cuillère en bois que la petite fille baptisera Maïzena et pour laquelle elle éprouvera une affection éperdue… Avec la sorcière de Gand, nous entrons dans une histoire familiale complexe et cruelle où peu à peu, cependant, les êtres se révéleront moins manichéens que prévu . Au centre, la troublante figure de la mère d’Adrienne, Astrid, – la grand-mère d’Amélie, donc – dont l’histoire découle de celle de sa propre mère, ce fameux « monstre » gantois, dont on découvrira bientôt qu’elle est capable d’amour, non pour les humains mais pour les chats. Enfant privée d’affection, Astrid, devenue adulte, tentera de maintenir un semblant de normalité dans sa vie d’épouse et de mère. Mais à quel prix ! Ce sera en effet en reportant sans états d’âme sur les chats la haine qu’elle voue à sa mère.
L’histoire de la petite fille s’inscrit donc dans le roman d’une famille dont, très jeune, Adrienne pressent qu’elle dissimule « quelque chose d’obscur ». C’est un mystère qui enveloppe les liens qui en unissent les membres : les rapports étranges des parents entre eux, marqués par une mutuelle liberté et les accès de violence du père contre la mère, ceux des parents avec leurs enfants, ceux des enfants entre eux. Au-delà des apparences – un père plein de charme et d’esprit, une mère superbe et capable d’élans d’affection – c’est au milieu des non-dits, des absences répétées, d’une indifférence de fait à son bonheur, qu’Adrienne devra grandir. Des peines adoucies cependant par la présence indéfectible d’une amie de coeur, par la naissance d’une petite soeur adorée, puis par sa première relation amoureuse. Elle ne cessera jamais, pourtant, d’aimer ces parents ô combien imparfaits., car l’amour résiste à l’effroi, à la souffrance, l’amour « ça ne se commande pas ». C’est dans ses trente dernières pages que Tant mieux trouve toute son intensité : le récit distancié cède alors la place au témoignage, la troisième personne au « je », le livre se fait déclaration d’amour à cette mère dont Amélie Nothomb, n’avait pu, jusque là, évoquer la mort.
« Tant mieux », la formule volontariste et naïve qu’Adrienne, enfant, s’était imposée, trouve ici tout son sens . Ce « tant mieux » de sa mère, élevée au sein d’une famille destructrice est aussi, à présent, celui de la romancière : par la littérature, par le mélange de fiction et de vécu qui constitue ses oeuvres, elle réussit ce paradoxe : mettre le réel à distance et le creuser. De son écriture incisive où se conjuguent violence et légèreté, cruauté et humour, Amélie Nothomb, nous livre ainsi, à la manière d’un exorcisme, un émouvant manuel de survie.
Anne Randon