Malgré une salle clairsemée, XIXA a transformé Petit Bain en fournaise désertique, délaissant les atmosphères planantes de leurs albums pour un choc frontal de guitares brûlantes. Une claque électrique, et un voyage sur les frontières, réelles comme mentales.

On n’a pas si souvent l’occasion de voir Brian Lopez et Gabriel Sullivan, alias XIXA, sur scène à Paris, leur dernier passage remontant à plus de trois ans : c’est donc avec une indéniable excitation que l’on se prépare à leur passage à Petit Bain, pour savourer leur mélange singulier de « desert rock » et de musique latina, saupoudré d’un rock progressif vaguement. Le problème est que nous ne sommes pas très nombreux à partager cette excitation, et les locations de billets peinent à dépasser la centaine. Tristesse…
19h45 : Nous ne sommes d’ailleurs pas plus d’une vingtaine dans la salle pour accueillir les Grenoblois de Holy Bones, un combo – français donc – de « desert rock » pas non plus très connu. François Magnol, le leader-chanteur-guitariste du groupe, fait contre mauvaise fortune bon cœur, et balance des vannes à répétition, l’humour restant la meilleure arme qui soit face à l’adversité. Mais, en fait, non. La meilleure arme, c’est la bonne musique… Et à notre plus grande satisfaction – et je parle pour tous les spectateurs présents – Holy Bones va nous offrir une cinquantaine de minutes d’un set atteignant la plupart du temps l’excellence ! Leur musique parcourt elle aussi la frontière entre les USA et le Mexique (là où Trump n’ose pas s’aventurer mais construit des murs !), entre country rock et tradition mexicaine. François parle – et chante – couramment l’espagnol : c’est d’ailleurs sur les morceaux à consonance mexicaine (Llorona, sommet de la soirée) ou hispanique en général (Eldorado, Almeria) que sa voix portera le mieux, parfois de manière très impressionnante. On sera plus mitigés quant à son chant en français ou en anglais, curieusement, mais de toute manière : 1) c’est formidable d’assister à un concert en trois langues 2) les musiciens qui l’accompagnent sont des cadors, en particulier Vincent Travaglini à la guitare. A noter un long final enthousiasmant, Hope, qui débute en solo à la guitare acoustique et à l’harmonica pour finir en cavalcade électrique effrénée. Bref, une première partie exemplaire, comme on adorerait en avoir à chaque fois !
21h05 : Dans une obscurité qui persistera largement durant tout leur set d’une heure et demie, Brian Lopez (qui a de temps en temps un petit air de Bob Dylan circa 1966, version latino) et Gabriel Sullivan (qui, avec son Stetson vissé sur le crâne et sa pilosité faciale, évoque un jeune frère de Lemmy qui serait né en Arizona) tirent leurs premières cartouches après une belle intro sur l’Homme à l’harmonica d’Ennio Morricone.
On note tout de suite que le reste du groupe n’est pas du voyage – pas de claviers, en particulier – à l’exception d’un redoutable batteur latino qui va bien nous percuter les tympans toute la soirée (il semble que le bassiste soit un musicien français engagé comme homme de main, mais il ne déméritera pas, au contraire) : finalement, cette approche plus « étroite » que sur les disques de la musique de XIXA va s’avérer une bénédiction, au moins à notre goût. Beaucoup moins de sophistication, d’atmosphères planantes, et beaucoup plus de parties de guitares qui cognent sans ménagement : on signe tout de suite ! Ce qui nous amène à signaler le commentaire admiratif d’un ami : « Quand ils ont commencé à jouer, j’ai cru que ce n’était pas XIXA sur scène, mais XIXA avec Motörhead ». Il est clair que ce parallèle est exagéré, et sans doute amené par le look de Gabriel, mais quand même…

Plus bel exemple de cet écart impressionnant entre le matériel original sur les disques et le concert : Find You There, joli tube presque critiquable tant il louche, avec ses chœurs suaves et son clavier lénifiant, vers les radios généralistes, devient une chanson rêche et magnifique, une fois soumise au traitement de choc de ce soir.
Bon, la setlist de dix-sept titres (plus deux prévus en rappel) se focalise à parts quasi égales sur les deux derniers albums de XIXA, le récent XOLO et surtout son superbe prédécesseur, Genesis, ce qui nous garantit un parfait équilibre entre rock sombre et fiesta latina (May They Call Us Home en particulier, très jouissif !). Bien sûr, le tout est criblé de bons délires mystico-psychédéliques, et, surtout, d’excellentes mélodies, ce qui, à notre avis, est l’un des points forts du groupe par rapport à la concurrence. Et de fait, le set restera à haut niveau, mis à part un tout petit coup de mou dans son dernier tiers, avant le final enragé de Genesis of Gaea et, surtout, Feast of Ascension, où les déflagrations des guitares deviennent quasi nucléaires.
À noter aussi la surprise d’une reprise électrique, tendue et bien exécutée de The Ghost of Tom Joad, de Springsteen. Et tout au long du set, l’intelligence du dialogue constant entre guitare acoustique et guitare électrique, sorte de miroir du dialogue au chant entre la voix très grave de Gabriel, et celle, presque féminine, de Brian : oui, il y a beaucoup de choses originales chez XIXA, qui rendent leur prestation scénique passionnante.
L’heure du couvre-feu nous privera en rappel d’une interprétation de Velveteen, mais heureusement pas de la réjouissante cumbia de La Danza de los Jaguares, merveilleuse manière de nous quitter. Et si dehors, une pluie froide tombe sur Paris, dans notre cœur comme sur notre peau, nous sentirons encore un bon moment le soleil brûlant du désert.
Holy Bones : ![]()
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Eric Debarnot
