Suite de notre entretien avec Manu Masko, le leader du Celtic Social Club, dont le nouvel album, You Should Know, vient de sortir.

Benzine : La musique celtique repose sur l’émotion et la narration. Peux-tu partager un thème traditionnel particulier ou une histoire personnelle qui a inspiré l’un des nouveaux morceaux ?
Manu : J’ai l’habitude de dire que les musiques celtiques – ou plutôt les musiques traditionnelles – sont binaires : soit tu chiales, soit tu fais la fête. C’est ça leur force. Elles oscillent entre une tristesse absolue et une joie démesurée, ce qui offre une amplitude émotionnelle incroyable pour s’exprimer. Si je devais retenir un morceau en particulier, je reviendrais sur le tout premier, The Celtic Social Club. C’est comme si, dans ce titre, on avait mis tout ce qui était possible. Une mélodie traditionnelle asturienne, un groove reggae, un chant en anglais, un rappeur new-yorkais, et Winston McAnuff, Jamaïcain d’origine écossaise. Le laboratoire joyeux. À l’époque, j’étais dans une sorte de boulimie musicale : on prend tout, on mélange tout, et on verra bien ce qui en sort. Et ça a marché. Avec le temps, le groupe s’est épuré, le son s’est précisé, mais ce morceau reste pour moi le cœur fondateur du Celtic Social Club – celui où tout était déjà là, en germe : le mélange, la liberté, et le plaisir.
Benzine : Les concerts ont toujours été une part essentielle de l’identité du Celtic Social Club. Comment les nouveaux morceaux prennent-ils vie sur scène – et quelle énergie attendez-vous de cette nouvelle tournée ?
Manu : Eh bien, on ne le sait pas encore vraiment, parce que la tournée n’a pas encore commencé ! À l’heure où je te parle, on n’a pas encore attaqué le travail de production de la prochaine tournée. Donc je ne sais pas encore précisément comment ces nouveaux morceaux vont sonner sur scène. Mais il y a une chose dont je suis sûr : on les a déjà dans les pattes. Sur cet album, on a tout enregistré en live. Toutes les prises – batteries, basses, guitares, washboards, harmonicas,
parfois même la voix – ont été jouées ensemble, dans la même pièce. Une, deux, trois, cinq prises maximum, et on gardait la meilleure. Très peu d’overdubs, pas de fioritures. Seuls les violons ont été enregistrés après pour une simple histoire de prise de son. Du coup, même si c’est un album studio, c’est déjà du live. Ce qu’on entend sur le disque, c’est la vraie énergie du groupe. Donc logiquement, sur scène, ces morceaux devraient sonner encore plus fort. Et surtout, on devrait beaucoup s’amuser à les jouer.
Benzine : Vos concerts ressemblent souvent à une grande fête collective, à mi-chemin entre un show rock et un rassemblement folk. Comment maintenez-vous ce lien avec un public qui, parfois, n’a aucune culture celtique à la base ?
Manu : Je vais prendre une explication parallèle : le public français n’a pas, ou très peu, de culture de musique cubaine. Et pourtant, quand un groupe cubain monte sur scène, personne ne se demande s’il « connaît » cette musique. On la prend au premier degré, par le groove, par le son, par l’énergie. Eh bien, c’est exactement la même chose pour nous. Ce qui frappe le public, c’est la pulsation, le rythme, les émotions. On a joué dans des pays où personne ne parlait notre langue, ni ne connaissait notre culture – comme en Chine, par exemple, où on a fait trois festivals devant des foules immenses. Et ça a marché tout de suite. Parce qu’au fond, les musiques traditionnelles du monde entier partagent quelque chose : le rythme. C’est un langage universel. Et puis, on est en France : l’Irlande, l’Écosse, la Bretagne, ce n’est pas si loin. Il y a déjà des
sonorités familières. Le public n’est donc jamais complètement perdu. Sur scène, après, c’est simple : c’est un match de tennis. Il y a un échange permanent entre le groupe et le public. Mais c’est nous qui servons les premiers. Si on envoie bien la balle, le public la retourne, et quand l’échange s’installe, quand ça rebondit des deux côtés, ça peut monter très, très haut.

Benzine : La musique celtique porte souvent une dimension sociale et politique – des chansons sur la résistance, l’exil, la solidarité. Ces thèmes résonnent-ils encore pour vous, et comment les reliez-vous au monde d’aujourd’hui ?
Manu : Disons que ces valeurs – la résistance, l’exil, la solidarité – sont toujours d’actualité. Peut-être même plus que jamais. Quand on regarde autour de nous, en France, en Angleterre, en Irlande, et aux quatre coins de la planète, le monde traverse une période de vrai chaos. Il y a beaucoup d’inquiétude, beaucoup de crispation. Moi, je reste d’un optimisme sans doute un peu béat – ou absolu. Je me dis qu’on vit peut-être juste une grosse virgule, un moment de bascule avant autre chose de bien plus intéressant. Je n’aurais pas la prétention de dire que la musique, ou les musiciens, peuvent révolutionner la société. Mais je crois profondément que l’art est là pour offrir une respiration. Dans les périodes sombres, les gens ont besoin d’une parenthèse, d’un espace pour souffler, se retrouver, réfléchir. Et c’est ce que la musique permet. Dans chaque vie, il y a toujours une chanson qui correspond à un moment, à un état d’esprit, à une époque. Aujourd’hui, où tout semble lourd, complexe, tendu, et acide, la musique — et l’art en général — sont plus essentiels que jamais.
Benzine : Travailler avec différents chanteurs et musiciens semble être au cœur de votre identité de “social club”. Quelles ont été jusqu’à présent les collaborations les plus surprenantes ? Et idéalement, avec qui aimeriez-vous collaborer à l’avenir ?
Manu : Ah oui, c’est un club ! Et on a toujours eu la chance d’avoir de grands chanteurs au sein du Celtic Social Club. Taylor Byrne, le dernier arrivé, ne déroge pas à la règle : avec sa fougue et sa jeunesse – il a 24 ans -, il apporte une énergie nouvelle qui nous bouscule et nous régénère. Ce que j’ai toujours adoré, c’est d’aller à la rencontre des musiciens là où l’on joue. À chaque tournée à l’étranger, je faisais des pieds et des mains pour que les organisateurs nous présentent des artistes locaux, des musiciens traditionnels. Et ça a donné des moments incroyables. En Algérie, au Festival de Constantine, on a joué avec un joueur de derbouka et des percussionnistes de bendir : on se comprenait sans parler la même langue, simplement par le rythme. En Chine, on a rencontré des chanteurs mongols de chant diphonique — ceux qui peuvent produire plusieurs notes à la fois, avec cette résonance incroyable. On a même invité l’un d’eux en France pour jouer aux Vieilles Charrues. C’était totalement surréaliste et magnifique.
Quant aux collaborations rêvées… la liste est longue. J’aurais adoré travailler avec Sinéad O’Connor, que je trouvais bouleversante. Ça a failli se faire, mais ça ne s’est pas fait. Du côté des producteurs, j’aimerais beaucoup collaborer avec Rick Rubin, pour son approche brute, ou Brian Eno, pour son sens de l’espace. Mais au fond, c’est ça, le Celtic Social Club : un mouvement permanent. On avance, on croise du monde, on rencontre, on mélange. Et à chaque nouveau croisement, il se passe quelque chose.
Propos recueillis par Eric Debarnot
Les prochaines dates de concerts de The Celtic Social Club en France :
25/10- NANTES (44) Warehouse
14/11 – MEZIERES (35) Muzikam
15/11 – VAL ANDRE (22) Guemadoc
04/12 – MONTLUCON (31) Le 109
05/12 – GRENOBLE (38) L’Austra
06/12 – ANNEMASSE (74) Château Rouge
20/01 – NANTES (44) Les BIS
13/02 – BREST (29) Le Vauban
14/02 – PENMARC’H (29) Cap Caval
12/03 – PARIS (75) Le Café De La Danse
14/03 – DUDELANGE (Luxembourg) festival
20/03 – AUDINCOURT (25) Le Moloco
